every flower seems to burn by itself

Tanatchai Bandasak, Jason Hendrik Hansma, Marlie Mul, Elif Satanaya Özbay, Maaike Schoorel, Damon Zucconi

06.12.2024 – 02.02.2025
Commissariat Eloise Sweetman
Cette exposition est réalisée avec les soutiens du Mondriaan Fonds et l’Ambassade des Pays-Bas à Paris.
every flower seems to burn by itself - Les Bains-Douches, Alençon
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Maaike Schoorel, Lilly in the Kitchen, huile sur toile, 170 cm x 125 cm, 2016,
Courtesy de l’artiste et de Mendes Wood DM, Photo: Michaël Quemener

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Tanatchai Bandasak, Untitled (a flower of extraordinary size)
autocollant découpé, vin gâté, 2021,
Courtesy de l’artiste, Photo: Michaël Quemener

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Marlie Mul, Puddle (Dodge), sable, pierres, résine, 145 × 92 cm, 2014, Courtesy de l’artiste & Croy Nielsen, Vienne, Autriche, Photo: Michaël Quemener

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Marlie Mul Puddle (Gritty), sable, pierres, résine, 134 cm x 182 cm, 2014 Courtesy of the FRAC Alsace, Photo: Michaël Quemener

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Elif Satanaya Özbay, Something About A Double-Edged Sword, bois stratifié, mousse de canapé, cadre en bois, bassin d’eau en acier, lampe avec abat-jour, eau, pompe à eau, bouteilles d’eau Narzan en verre, dimensions variable, 2023-2024, Courtesy de l’artiste, Photo: Michaël Quemener

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Jason Hendrik Hansma, In Our Real Life (Embers), vidéo, son, boucle, 2021-2024, Courtesy de l’artiste, Photo: Michaël Quemener

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Damon Zucconi, My Attraction May Fade, But I Will Not, lumière, machine à fumée,
2020, Courtesy of the artist, Photo: Michaël Quemener

(…) « C’était ce moment, entre six et sept heures, où toutes les fleurs — roses, œillets, iris, lilas — s’embrasent dans un éclat de blanc, de violet, de rouge ou d’orange profond. Chaque fleur semble brûler d’elle-même, doucement et purement, dans les parterres brumeux. Elle aimait aussi les papillons de nuit gris-blanc qui tournoyaient au-dessus de l’héliotrope et des primevères du soir.» (Woolf, 1925, p. 13)

Ce passage de Mrs. Dalloway de Virginia Woolf a capté mon attention et marqué mon imaginaire. La golden hour m’a hantée pendant des années. L’image des fleurs brillant « blanc, violet, rouge, orange profond ; chaque fleur semble brûler par elle-même » me fascine, comme si l’intensité du présent s’attardait un peu plus longtemps. À cet instant, nous savons que l’éclat incandescent dans le ciel va sombrer, transformant les pourpres en bleus, puis en bleu nuit et en noir.

À l’image d’un coucher de soleil, l’exposition Every flower seems to burn by itself cherche à suspendre le temps, ne serait-ce qu’un instant. Chaque œuvre semble brûler et s’épanouir lentement dans sa propre chaleur, à l’image des fleurs décrites par Virginia Woolf : vibrantes, pleines et persistantes, avant de disparaître à nouveau dans les rythmes de la vie quotidienne. En réunissant les œuvres de Maaike Schoorel, Tanatchai Bandasak, Marlie Mul, Jason Hendrik Hansma, Elif Satanaya Özbay et Damon Zucconi, je cherche à évoquer la sensation d’un temps qui s’étire, prolongeant l’expérience des spectateur·ices, telle une confiserie qui se déploie en fils délicats et aériens.

J’espère que vous reviendrez à chaque œuvre avec un regard nouveau, découvrant plus que ce que vous aviez initialement imaginé. Tout au long de notre vie, la plupart d’entre nous ont entendu l’expression « Prenez le temps de sentir les roses »— un cliché, peut-être, mais porteur de vérité. Lorsque nous nous arrêtons et nous détachons de nos emplois du temps bien réglés, nous sommes souvent surpris de constater que ce doux parfum nous invite à regarder de plus près ce qui nous entoure. Prendre — ou sculpter ? — du temps, c’est en offrir. En période de crise, alors que nos sociétés affrontent des défis dans tant d’aspects de la vie, la conscience et la réflexion deviennent plus essentielles que jamais.

Every flower seems to burn by itself est une invitation à suspendre le temps, à s’abandonner à l’instant. L’exposition respire et se métamorphose au fil de vos pas, jouant de textures et de lumières mouvantes. Chaque œuvre semble s’embraser doucement de l’intérieur, exhalant une chaleur intime qui s’épanche en vagues légères, effleurant la peau avant de s’évanouir, comme un souffle, au moment où vous quittez l’espace.

Par exemple, la peinture minimaliste de Maaike Schoorel, Lily in the Kitchen (2016), apparaît d’abord comme un feu mourant, vacillant sur ses bords extérieurs. Plus vous vous en approchez—encore et encore—l’œuvre se dévoile peu à peu, jusqu’à ce que vous pensiez comprendre ce que vous voyez… avant d’oublier ce que vous croyiez avoir perçu. Travaillant à partir d’images de référence capturées lors de voyages ou offertes par d’autres, elle crée des peintures qui semblent vouloir s’échapper de la toile, comme si elles tentaient de rejoindre l’espace où elles sont exposées. On pourrait croire que de telles œuvres exigent une attention calme et immobile, mais il suffit parfois d’un échange, d’un simple passage furtif, pour être transporté dans ces images originelles. Chaque fois que je me suis tenue devant l’un de ses tableaux pour en discuter avec un·e spectateur·rice, un éclat finit toujours par apparaître dans son regard—cet instant où iel perçoit soudain quelque chose qu’iel n’avait jamais vu auparavant.

La peinture de Schoorel est présentée aux côtés du lavis Untitled (a flower of extraordinary size) (2021) de Tanatchai Bandasak, qui, de loin, n’apparaît que comme une simple tache. Il est facile de passer devant sans le remarquer, d’ignorer sa présence. Mais pour celles et ceux qui osent s’en approcher, l’œuvre se révèle peu à peu : un texte imprégné d’une teinte rappelant le vin madérisé, piquant, s’effaçant lentement. Ce texte décrit la Rafflesia, une plante à fleurs parasitaire originaire d’Asie du Sud-Est. Dépourvue de racines, elle dépend des systèmes d’autres plantes pour survivre. Sa fleur—la seule partie visible—est la plus grande du monde et exhale une odeur de chair en décomposition. La pratique de Bandasak s’ancre dans l’ordinaire, puisant dans des matériaux trouvés pour composer des œuvres qui offrent au·à la spectateur·rice un moment subtil de basculement, cet instant fragile où l’invisible se dévoile soudain.

De retour dans l’espace principal de l’exposition, vous rencontrerez l’humidité des Puddles (2014) de Marlie Mul : des flaques de résine, d’asphalte, de plastique et de pierres, évoquant des nappes d’huile ou des flaques de pluie dans un parking désert. Ou, comme je les perçois, une boue sculpturale fondant sous la chaleur interne d’une œuvre, tandis que notre attention était ailleurs. Pour véritablement appréhender Puddles, il faut s’agenouiller ou s’accroupir, observer de plus près et plus longuement.

En quittant l’exposition, je m’attends à ce que vous remarquiez les flaques dans la rue, les mégots de cigarettes consumés jusqu’au filtre, et que cette œuvre vous revienne en mémoire. Bien qu’elle semble destinée à s’évaporer, elle continuera probablement de vivre en vous, comme un souvenir fugace, une fumée dispersée dans l’air.

En parcourant les espaces des Bains-Douches, vous pourriez également remarquer d’autres œuvres que je n’ai pas encore décrites. Parmi elles se trouve Something About A Double-Edged Sword (2023) d’Elif Satanaya Özbay. S’inspirant de souvenirs, de la culture populaire et du folklore circassien — en particulier du mythe de la déesse de la guerre, Nart Sane — la performance d’Özbay commence avant même notre arrivée dans l’espace et se prolonge bien après notre départ. Une impression persistante nous suggère que nous devrions comprendre ce qui se joue, tandis que les personnages semblent nous inviter à entrer dans la narration, sollicitant activement notre implication.

En instaurant une sensation de répétition, Özbay nous invite à marquer une pause, à questionner ce que nous venons d’entendre. Sa pratique repose sur la collecte d’objets, de matériaux et de notes, qu’elle orchestre avec soin dans ses mises en scène. En observant attentivement tout en déambulant dans l’espace, vous pourriez discerner des fragments de la performance, en attente d’être réactivés, prêts à reprendre vie dans un prochain cycle.

Alors que l’hiver pince nos oreilles et nous ouvre une porte vers l’extérieur, la voix ralentie de Rihanna emplit la pièce. Au fond, les braises vacillantes de la vidéo In Our Real Life(2021) de Jason Hendrik Hansma scintillent faiblement. En réponse à des événements météorologiques extrêmes, l’artiste a compilé des séquences de tsunamis et d’incendies, documentées par des citoyens et des pompiers volontaires sur les réseaux sociaux. Hypnotique, la vidéo dégage une intensité qui diffère de la transe apaisante d’un feu de nuit. La version ralentie de Close to You (2016) de Rihanna étire le temps et plonge le·la spectateur·ice dans un état modifié, propice à l’imagination.

J’ai associé la vidéo de Hansma à la peinture de Schoorel, imaginant qu’en revenant au début de l’exposition — avec l’expérience d’un temps étiré et l’éclat de la découverte encore présents dans vos yeux — vous pourriez percevoir les autres œuvres sous un jour nouveau. Peut-être les approcheriez-vous d’un peu plus près cette fois, pour y découvrir quelque chose de différent.

Dans la rue, juste au-dessous de l’entrée des Bains-Douches, des portes donnent accès au rez-de-rue, où vous découvrirez My Attraction May Fade, But I Will Not (2020) de Damon Zucconi : une pièce close, baignée de lumière et de brouillard. Décrite comme un « moulage sculptural », cette œuvre tente de se rapprocher autant que possible d’une sculpture du temps, évoquant l’idée que « rien n’est vidé. Au contraire, le parfum de l’encens emplit la pièce et transforme même le temps en espace, lui conférant ainsi une apparence de durée » (Han, 2017, p. 57). My Attraction May Fade, But I Will Not vous attire, vous incitant à coller votre nez à la fenêtre pour tenter d’effacer votre propre reflet. Par moments, vous ne voyez que vous-même et la rue derrière. Mais laissez-lui du temps : le temps révélera tout. Telle est l’expérience offerte par cette œuvre.

REFERENCES

Han, B.-C. (2017). The Scent of Time. John Wiley & Sons.

Woolf, V. (2009). Mrs Dalloway. Oxford University Press.

BIOGRAPHIES :

TANATCHAI BANDASAK pratique le butinage. Il explore des sites portant des traces archaïques et erre dans des espaces urbains, suburbains et industriels anonymes. Parfois, il recherche des objets inhabituels en ligne. Son butinage, à la fois dans les espaces physiques et numériques, autant intentionnel qu’aléatoire. Dans son processus artistique, les objets qu’il recueille existent dans un état suspendu, pris entre dysfonctionnement, rejet, trace et transition.

Le travail de JASON HENDRIK HANSMA explore l’entre-deux, le liminaire et le presque articulable. S’appuyant sur un large éventail de références et de matériaux, sa pratique traite des normes — architecturales, culturelles et physiques — tout en questionnant comment les œuvres peuvent être créées en dehors des normes standardisées. Une photographie peut prendre des mois à créer, ou une exposition entière peut se dérouler dans des « espaces de transition » tels que des couloirs, des embrasures de portes ou des appuis de fenêtres. Un rideau cousu à la main ralentit le rythme d’une exposition, offrant une coupe douce déplacée par une légère brise extérieure, ou un film se concentre sur le moment où une vague s’écrase contre une architecture. Dans son travail, le langage (et la perte du langage) joue un rôle clé dans la navigation des politiques esthétiques, invitant à reconsidérer la manière dont nous nous situons à travers et avec les autres.

Les références à la fluidité, à la liquidité et au suintement sont récurrentes dans l’œuvre de MARLIE MUL, tant dans ses qualités formelles que dans ses thèmes métaphoriques. De ses peintures pliées aux sculptures fac-similés de flaques de pluie, en passant par ses enquêtes sur l’histoire de la fumée de tabac, sa pratique est savamment élaborée tout en conservant un fort caractère DIY. En mai 2017, Marlie Mul a publiquement annulé une exposition solo à la Galerie d’Art Moderne (GoMA) à Glasgow, en raison de circonstances impossibles, ce qui a abouti à une annonce de l’annulation exposée à l’intérieur même des galeries du musée.

ELIF SATANAYA ÖZBAY, née aux Pays-Bas d’origines turques et circassiennes, est une artiste dont les œuvres performatives et de recherche tournent autour de la nostalgie diasporique dans le cadre de l’horreur. Se référant aux mythes circassiens, au divertissement contemporain et au folklore turc, ses pièces partent d’une base autobiographique et évoluent vers des récits fictifs à travers des méthodes de cartographie mentale et de liaison.

Pour décoder les sujets dissimulés dans la technique picturale de MAAIKE SCHOOREL, le public doit adopter une approche plus lente et délibérée du regard — une approche qui laisse de l’espace à la fois à la perception visuelle et à l’imagination. Les titres descriptifs peuvent induire en erreur, car les spectateur·ices sont initialement confronté·es à une illusion d’abstraction, où les formes flottent dans une mêlée de couleurs. Ses peintures nous invitent à rester actifs dans l’acte de regarder et de comprendre, résistant à la gratification immédiate de l’image qui domine nos rencontres quotidiennes avec le matériel visuel. Ce qui émerge de cette contemplation soutenue n’est ni l’immédiateté de l’instantané photographique ni le travail d’une scène restituée. Au contraire, l’œuvre de Schoorel offre un espace pour que ses sujets se révèlent progressivement et soient réinterprétés dans l’esprit des spectateur·ices.

DAMON ZUCCONI utilise fréquemment des logiciels et des scripts personnalisés pour créer ses œuvres. Il s’est engagé dans la programmation informatique depuis 2010, produisant des œuvres généralement accessibles en ligne. Ses créations explorent la vision, la littératie et la reconnaissance de modèles pour rendre manifestes nos expériences perceptuelles.

Par des recherches approfondies en commissariat et en écriture, ELOISE SWEETMAN s’est penchée sur des thèmes tels que l’interaction entre l’ignorance et l’intimité, ainsi que les rôles de l’intuition et de l’émotion dans le commissariat. Actuellement, elle se concentre sur la persistance comme métaphore, abordant chaque exposition comme un site de recherche unique qui alimente des projets ultérieurs. Sweetman apprécie particulièrement  développer une compréhension approfondie des œuvres d’art au fil du temps et  collaborer avec des artistes à travers plusieurs expositions. Elle puise son inspiration dans la relation de l’artiste avec le site, les matériaux trouvés ou industriels, et la façon dont ces éléments remettent en question les hiérarchies de la forme.