Post-Mortem Solutions

















FR Sur les flancs d’un coteau recouvert d’herbes folles, qui sépare un jardin parfaitement entretenu de la forêt qui le surplombe, vous gravissez la pente détrempée par la pluie en traînant derrière vous une pelle de chantier. Vos bottes en caoutchouc sont aspirées par la boue, et vous devez prendre garde, à chacun de vos pas, à ne pas vous déchausser. Vous arrivez enfin, sale et trempé de sueur, à la vieille étable recouverte de mousse qui marque la fin de votre ascension. Essuyez le voile de crachin qui recouvre vos lunettes, et scrutez la forêt. Vous reconnaissez au loin l’arbre mort au tronc fendu comme un Y, près duquel vous avez enterré les cadres il y a bientôt trois ans.
Le chemin ne vous avait alors pas semblé aussi difficile. Vous aviez pourtant transporté, à l’aide d’une brouette, les quinze grands cadres vides au cours de plusieurs voyages. Mais c’était la fin de l’hiver, et le sol était figé par le gel. Vous vous remémorez la piqûre tonifiante du froid sec. Aujourd’hui, le froid a changé de nature. Il vous prive insidieusement de votre énergie, comme si les processus de décomposition qui se produisent sous vos pieds consommaient la chaleur de votre organisme. Dressée sur un pieux maintenant une clôture, une limace orange dirige ses antennes supérieures dans votre direction, et attarde son regard sur vous. Enjambez la clôture, et dirigez vous vers l’arbre.
Vous êtes maintenant dans une petite clairière, dont vous inspectez le sol. Vous raclez du pied le tapis de feuilles mortes, exposant le dessus de la couche d’humus. Vous y découvrez des glands germés, des colonies de mouches, mais aucune trace de l’emplacement où sont enterrés les cadres. Vous retournez les bosquets de ronces et de lierre qui ont envahi l’endroit, sans plus de résultats. Prenez votre téléphone, et retrouvez la photo que vous aviez prise pendant que vous creusiez la fosse. L’image montre un trou net d’un peu plus d’un mètre carré, tiré au cordeau comme une excavation sur un chantier de fouilles. Peu de temps après avoir pris la photo, vous étiez arrivé à bout de la couche de terre, et aviez rencontré un sol rocailleux qu’il vous avait fallu attaquer à la pioche. À la fin de l’après-midi, quand les ampoules qui s’étaient formées sur vos mains vous avaient forcées à abréger le travail, le trou avait l’air d’un impact d’obus. Vous y aviez déposé les cadres les uns sur les autres, par ordre de grandeur. Les formats les plus importants constituaient la base de la pile, qui reposait en appui sur les versants du cratère. Vous l’aviez recouverte avec la terre et les débris végétaux qui s’étaient amoncelés près du trou, et vous vous étiez hâté, dans la lumière déclinante, de rassembler vos outils pour rentrer avant la nuit.
Tenant fermement l’écran face à vous, vous tournez autour de l’arbre mort, tentant de faire coïncider l’image à l’environnement qui vous entoure. Vous ajustez votre point de vue à pas de crabe, jusqu’à l’endroit exact de la prise de vue. L’image, privée de la distance qui la sépare de son sujet, perd aussitôt son caractère magique, et disparaît comme une bulle de savon. À aucun moment, alors que vous remettez votre téléphone dans votre poche, cette idée ne vous traverse l’esprit.
Devant vous s’étend une coulée de mousse verte émeraude, au centre de laquelle vous distinguez une arête blanche. Agenouillez-vous, et creusez jusqu’à dégager les contours de la pile. Vous déterrez un premier cadre, dont le fond est sillonné de traces noires laissées par des rhizomes depuis longtemps disparus. Vous l’appuyez contre le tronc d’un arbre, et prenez un instant pour apprécier ses qualités esthétiques. Le second cadre est infesté par un champignon verdâtre. Il se disloque au moment où vous tentez de l’extraire du sol. Vous poursuivez l’exhumation en disposant les cadres aux états de conservation variés contre les arbres alentour.
Vous accédez maintenant au dernier cadre. Il a échappé à la pourriture et à la corrosion, et une fois dégagé des quelques graviers qui le recouvrent, il retrouve la même blancheur immaculée qui vous avait éblouie quand vous l’aviez déballé pour la première fois. Vous glissez les deux mains en dessous, et le faites basculer face à vous comme comme on ouvre une trappe. Soudain, vous émettez un gémissement atone semblant provenir de sous le diaphragme. Car dans la cavité située sous le cadre, lovée sur elle-même en plusieurs cercles concentriques, se trouve une longue vipère aux écailles grises comme de l’ardoise. Saisi d’effroi, vous lâchez prise, et laissez le cadre se rabattre sur le nid. Durant les jours qui suivent, vous ressentez sur le dos de la main droite une sensation de chaleur très diffuse, à l’endroit où vous croyez être entré en contact avec la vipère.
ENG On the slopes of a hillside covered in wild grasses, separating a perfectly maintained garden from the forest looming above it, you climb the rain-soaked incline, dragging a construction shovel behind you. Your rubber boots are sucked into the mud, and with every step, you must be careful not to lose them. Finally, dirty and drenched in sweat, you reach the old, moss-covered barn marking the end of your ascent. Wipe the misty drizzle from your glasses and scan the forest. In the distance, you recognize the dead tree with a trunk split like a Y, near which you buried the frames nearly three years ago.
The path hadn’t seemed so difficult back then. Yet you had transported the fifteen large empty frames using a wheelbarrow, making several trips. But it was the end of winter, and the ground was frozen solid. You recall the invigorating sting of the dry cold. Today, however, the cold has a different nature. It insidiously saps your energy, as if the decomposition processes occurring beneath your feet were consuming the heat from your body. Perched on a post supporting a fence, an orange slug points its upper antennae in your direction and lingers its gaze on you. Step over the fence and head toward the tree.
You are now in a small clearing, inspecting the ground. You scrape away the carpet of dead leaves with your foot, exposing the surface of the humus layer. You find sprouted acorns, colonies of flies, but no sign of the place where the frames were buried. You turn over clusters of brambles and ivy that have invaded the area, to no avail. Take out your phone and find the photo you took while digging the pit. The image shows a neat hole, a little over a square meter, drawn with precision like an excavation on an archaeological dig. Shortly after taking the picture, you had reached the rocky soil beneath the earth and had to attack it with a pickaxe. By late afternoon, when the blisters on your hands forced you to cut your work short, the hole looked like an artillery crater. You placed the frames inside, one on top of the other, arranged by size. The largest ones formed the base of the stack, resting against the sides of the crater. You covered them with soil and plant debris that had accumulated near the hole, then hastily gathered your tools before nightfall.
Holding the screen firmly in front of you, you walk around the dead tree, trying to match the image to the surrounding environment. You adjust your perspective with crab-like steps until you find the exact spot where the photo was taken. The image, stripped of the distance separating it from its subject, immediately loses its magic and vanishes like a soap bubble. At no point, as you slip your phone back into your pocket, does this idea cross your mind.
Before you stretches a flow of emerald-green moss, at the center of which you spot a white ridge. Kneel down and dig until you uncover the outline of the stack. You unearth the first frame, its backing streaked with black marks left by long-vanished rhizomes. You prop it against the trunk of a tree, taking a moment to appreciate its aesthetic qualities. The second frame is infested with a greenish fungus. It crumbles as you try to lift it from the ground. You continue the excavation, arranging the frames—each in varying states of preservation—against the surrounding trees.
Now, you reach the final frame. It has escaped rot and corrosion, and once freed from the gravel covering it, it regains the same immaculate whiteness that had dazzled you when you first unwrapped it. Sliding both hands underneath, you tilt it towards you as if opening a trapdoor. Suddenly, you let out a toneless moan, seeming to rise from beneath your diaphragm. For in the cavity beneath the frame, coiled in several concentric circles, lies a long viper with slate-gray scales. Seized by terror, you release your grip, letting the frame slam shut over the nest.
In the days that follow, you feel a faint warmth on the back of your right hand—a subtle sensation at the exact spot where you believe you touched the viper.