aquarium & heart piero heliczer & the dead language press
Nora Barbier, Bardo Matrix, Paul Bonnet & François Lancien-Guilberteau, Mia Brion, K.Desbouis, Ins & Outs Press, soto labor & nadjim bigou-fathi, Angus Maclise, Mario Montez, Piero Heliczer, Jack Smith, Panama Rose




















K.Desbouis, Untitled (Calendar), 2022, décalcomanie tatouage temporaire. Photo Michael Quemener
Poète, éditeur, cinéaste, acteur, musicien, figure importante des scènes underground américaine et européenne des années 1960-70, Piero Heliczer est né à Rome en 1937, d’une mère allemande et d’un père polonais, et mort à Préaux-du Perche, dans l’Orne, en 1993. Enfant, il est acteur dans plusieurs films italiens, notamment Bengasi (1942), film de propagande fasciste. En 1944, son père, médecin engagé dans la Résistance, est torturé et tué par la Gestapo. Après guerre, sa mère et lui émigrent aux États-Unis. Il étudie la littérature et la linguistique à Harvard ; il commence à écrire des poèmes et abandonne bientôt l’université pour se consacrer à l’écriture et à une vie nomade. Il s’installe à Paris en 1957 où il fonde avec Angus MacLise – qu’il connaît depuis le lycée – et Olivia de Haulleville, alias Om, une maison d’édition, The Dead Language Press. Ils publient leurs propres poèmes mais réalisent aussi des brochures, livres, cartes avec d’autres auteurs et artistes : Grégory Corso, Anselm Hollo… Ils organisent également des lectures et des performances, et gravitent autour du Beat Hotel à Paris, en compagnie de Sinclair Beiles, William S. Burroughs, Allen Ginsberg, Brion Gysin et Harold Norse.
Au début des années 1960, Piero Heliczer voyage en Angleterre ; il réalise son premier film, Autumn Feast, en collaboration avec le réalisateur Jeff Keen, et se lie avec une scène de poètes, d’artistes et d’éditeurs parmi lesquels Michael Horowitz et Tom Raworth. S’installant ensuite à New York, Heliczer s’implique dans la Film Makers’ Coop : il continue à réaliser des films, parmi lesquels The Soap Opera (1964) et Dirt (1965), et organise des happenings, le plus célèbre étant The Last Rites en 1965. Angus MacLise, Tony Conrad, Marian Zazeela, Ira Cohen, Barbara Rubin ou encore Gerard Malanga sont partie prenante de ses projets : entre poésie, performance, film et musique, ils participent de l’ébullition d’une communauté underground qui a souvent recours à l’imprimé pour rendre publiques ses activités. Il se lie également avec Jonas Mekas, Andy Warhol – dans plusieurs films duquel il apparaît, dont Couch (1964), centré sur le fameux canapé de la Factory – mais aussi Jack Smith dont il publie un livre d’artiste, The Beautiful Book (1962), prélude à la réalisation de Flaming Creatures dans lequel Heliczer apparaît fugitivement. En 1965, Piero Heliczer réalise un film – perdu – avec The Velvet Underground, sur le tournage duquel se rend une équipe de CBS, pour ce qui sera la première apparition du groupe à la télévision.
Voyageant régulièrement entre l’Europe et les États-Unis dans les années 1960, Heliczer s’installe par intermittence dans la région du Perche, qu’il a découverte par l’intermédiaire de l’artiste Hundertwasser. Fondateur de la Paris Film-Makers Cooperative – qu’il décrit en 1971 comme une « organisation à but non lucratif vouée aux idéaux les plus hauts de la création cinématographique, sans discrimination de race, de couleur, de croyance, de sexe, de naissance, de nationalité, ou de compétence artistique » – Heliczer organise des projections de films expérimentaux à Paris, notamment au Centre Américain, Boulevard Raspail, aux Friches, sa maison dans la campagne normande, qui est l’adresse officielle de la Coop, mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Italie… Les séances sont souvent accompagnées de lectures de poésie, voire de concerts ou de performances.
Installé à Amsterdam dans les années 1970, Heliczer vit sur une péniche et se rapproche d’un groupe de poètes et d’artistes qui anime une librairie et maison d’édition, Ins and Outs. Toujours lié à la scène de la contre-culture new-yorkaise, il continue de publier des poèmes dans des revues éditées aux États-Unis ; mais la communauté underground se disperse. Angus MacLise et sa femme Hettie partent s’installer à Katmandou, au Népal, où, avec Ira Cohen, ils fondent la maison d’édition Bardo Matrix, qui imprime livres et broadsheets sur du papier de riz fait main. MacLise meurt de dysenterie au Népal en 1979.
Heliczer perd une partie importante de ses œuvres et archives quand sa péniche à Amsterdam est détruite dans un incendie d’origine criminelle. Il passe plusieurs années d’errance difficiles, survivant à New York en vendant des livres dans la rue dans les années 1980, avant de se réinstaller à Préaux-du-Perche au début des années 1990. Il y mène une existence en marge et meurt brutalement en 1993, accroché par un camion alors qu’il circule en mobylette, tirant une petite remorque remplie de livres.
L’œuvre de Heliczer et de son entourage est présente dans l’exposition aquarium & heart par des livres, des revues, des flyers, posters et autres éditions, qu’il a réalisées lui-même pour certaines, pour lui ou pour d’autres. Sans stratégie prédéfinie, mais avec un sens singulier de l’imprimé, Heliczer a utilisé l’édition pour ce qu’elle a de plus intense et de plus imprévisible – la « publication » au sens propre du terme, activité de rendre public et de créer un public au gré des circonstances, quelles qu’elles soient, en croyant farouchement que l’art est plus vivant quand il emprunte les formes les plus intenses, les plus légères, au croisement du mot et de l’acte.