Ludovic Sauvage Daytime Tv

Ludovic Sauvage

Daytime TV 

17.05 – 07.07.2019

Texte Fiona Vilmer

«  Oedipa resta plantée au milieu du living-room, sous l’œil verdâtre et froid de la télévision, elle invoqua en vain le nom du Seigneur, et essaya de se sentir aussi soûle que possible. Cela ne marcha pas. » – Thomas Pynchon, Vente à la criée du lot 49.

 S’installer dans les images comme dans un espace à revers où figures spectrales et gestes esquisseraient la possibilité d’un contre monde. Il s’agirait de renverser l’espace, provoquer un vertige, insinuer le flottement d’une réalité inversée. De fait, l’espace et le temps traversent l’image dans l’œuvre de Ludovic Sauvage et induisent le point de départ de formes éclatées. Daytime TV serait comme une intrigue, faite d’alcôves cachées sous le réel, d’absences et de présences dont la matière aurait été disséminée ici et là. Vers un espace sensible et codifié où chaque surface reflète autant qu’elle absorbe, et où chaque élément rejoue sa propre révélation.

Une mise en abyme que l’on pourrait rapprocher ici de ce que certains critiques ont nommé la « métafiction » comme genre littéraire[1]. Dans son extension postmoderne, la fiction au delà de sa stratégie d’autoréférence[2], de pastiche et de citations aux genres antérieurs[3] se déploie comme réflecteur de ce qui structure notre relation au monde. Elle tente ainsi par l’absurdité de son scénario de paradoxalement happer la texture du réel. Au cours de ces mêmes années 1970-1980, ce goût pour l’appropriation archétypale s’inscrit comme la marque de fabrique des artistes de la Pictures Generation dont l’un des vecteurs critique vise exhumer le simulacre propre aux mass media. Mais ce sont les artistes des années 1990, qui s’inséreront dans le processus fictionnel pour l’étendre à l’écrin d’exposition, pensé comme espace transitionnel[4], soudain prêt à exalter la réalité. Comme pour la littérature, la fiction en tant qu’outil met au jour les degrés de manœuvre de notre rapport au réel. Ce sont ces juxtapositions formelles qui génèrent cependant une porosité entre l’illusoire et le réel, intensifient ce qui affleure et relaient une proximité au monde. Mais qu’en serait-il d’une métafiction qui passerait du genre littéraire aux formes concrètes, appliquée au matériaux du réel ?

C’est peut-être à partir de cette intuition que Ludovic Sauvage conceptualise avec le temps une pratique de l’installation où les images prennent formes par leur déconstruction dans l’environnement. Chaque geste les autonomisent et opère un glissement de temporalité, alors qu’elles deviennent tour à tour moment, objet ou pure surface. De la métafiction il ne s’agit plus tant de pasticher que d’habiter les images. S’il extrait une batterie de motifs stéréotypés, arrachés à leur contexte, c’est pour en générer une matière malléable et les extrapoler vers de nouvelles situations jusqu’à dilater l’ambiance d’un monde ponctué d’incohérences dont chaque forme semble flirter avec le réel et y conférer un goût plus proche. Le geste injecte dès lors aux images une présence formelle envoûtante des plus insaisissables, les situant comme à contre temps.

Daytime TV, n’échappe pas à ce processus d’appropriation où désormais le simulacre est étiré à la limite de l’abstraction. Ludovic Sauvage y infiltre l’image à ceci près qu’il délaisse ici une utilisation frontale de la lumière pour un détour par l’objet. Outre les images, ce sont des fragments de mobilier qui se répandent dans l’espace d’exposition. Juchées sur des modules en bois hydrofuge – lointain clin d’œil à la fonction d’origine des Bains-Douches – les surfaces ne sont plus des plans fixes mais transitoires dont les images s’incarnent sur des miroirs-écrans. Au sol, les miroirs imprimés pourraient illustrer à la manière de chapitres des manipulations domestiques non sans être teintées d’une charmante étrangeté, et dont le toucher de velours bleu demeure intangible. Insérées sur des modules, systématiquement décalées de leurs structures, ces œuvres entrevoient un dévoilement de l’image, tels un tiroir d’ombre concrète laissant échapper un réel parfois silencieux, à peine dissimulé. Au mur, ce sont des spectres cotonneux qui nuancent et alourdissent l’atmosphère d’une buée violacée et s’impriment en dégradé sur des miroirs coulissants. Seulement ici, les miroirs n’ont plus vocation à agrandir l’espace mais simulent de le brouiller, d’ores et déjà dans une étape intermédiaire. Les surfaces bleues encastrées et perforées ; motif-outil récurrent dans l’œuvre de l’artiste ; projettent une partie manquante, celle de l’image évanouie, elle ne renvoie plus que celle de l’espace inversé dans lequel il faut s’abandonner et plonger. C’est à nous de nous laisser aspirer, de nous installer dans l’obscurité du hors champ. Si bien que l’image disparue réapparaît ailleurs, éclairant un autre intérieur, au revers d’une veste suspendue.

Aux Bains-Douches, Ludovic Sauvage matérialise une boucle perceptive qui suggère la réalité autant qu’elle l’égard : une sorte d’ellipse temporelle se substituant à la linéarité du temps. Chaque forme s’émancipe en même temps qu’elle participe de l’ensemble expositionnel. Les miroirs n’ont de cesse de mettre l’écran du réel en abyme, de le traverser et de nous en entourer. Si le sens initial de l’image se dilue c’est au profit d’un nouveau réceptacle – Boucle éternelle. Dorénavant incarnées dans le miroir, les images nous feraient douter de l’objectivité de ce dernier, non plus destiné à refléter ce que l’on ne peut percevoir mais transfigurant sa présence en instrument d’autorévélation[5] de ce qui nous échappe

Fiona Vilmer

[1] Notamment américaine, dont on été répertoriés entre autres : Thomas Pynchon, Robert Coover William H.Gass.

[2] GASS, William H, Fiction and the Figures of Life, New York, Knopf, 1970. Gass fait l’état d’un genre littéraire de fiction qui procède à la mise en abyme et à la critique de son genre au sein du récit même afin d’afficher un discours second.

[3] WAUGH, Patricia, The Theory and Practice of Self-Conscious Fiction, Londres/New York, Methuen, 1984.

[4] FROGIER Larys, « Dominique Gonzalez-Foerster, Pierre Huyghe, Philippe Parreno », Critique d’art 13,  Printemps 1999.

[5] DANTO, Arthur, La transfiguration du banal: une philosophie de l’art, Paris, Ed. du Seuil, 1989. p.41

 

 

Daytime TV – Ludovic Sauvage

‘Daytime TV’ by Ludovic Sauvage at Les Bains-Douches, Alençon

https://anti-materia.org/eyecandy-1/2019/7/29/semana-1801daytime-tv?fbclid=IwAR2oABDzNc3iVn5SAlTnoqFvD_kOhnP-TB-kW05QZVIkcDIGQhFr62n1J-I

https://slash-paris.com/fr/evenements/Ludovic-Sauvage-daytime-tv?fbclid=IwAR1NA8q7Vg1B85XJG34VG9mlDPL87YvwuPb6w14cXuV7vo29pp-C6AieOTg