Marcel Devillers Etat des lieux de l’amour

Marcel Devillers

État des lieux de l’amour

14.09 – 03.11.19

Le cœur est un smiley solitaire

Si par le biais de tableaux objets dans lesquels la présence de mots apparaît par endroits, la pratique de Marcel Devillers s’ancre et prend source dans la peinture, c’est souvent la question d’une idée de l’énonciation et de la matérialité d’une narration que l’artiste interroge. Productions d’un récit visuel, au moyen de graphies, de cadres ou de dispositifs lumineux, le volume, la matérialité et la notion d’épaisseurs n’ont de cesse de traverser la mise en forme de ses installations où une geste pop côtoie le décoratif et la toile.  

Avec Etat des lieux de l’amour, Marcel Devillers signe son retour dans l’extension des Bains-Douches, en présentant un ensemble mural croisant la forme stéréotypée, l’agencement de signes et le collage. Intitulé sentimental résonnant aussi comme un inventaire de stratégies plastiques, l’artiste propose un récit fragmentaire où se rencontrent vocabulaires composites et baroques. Variations sur les motifs, la figure du cœur s’amalgame avec l’esthétique toons et le format de l’enseigne ou de la fête foraine, les ampoules colorées rappellant la coiffeuse de la loge du cinéma ajoutant à la donnée iconoclaste. Conjuguant effets glossy et drippings, paillettes de strass et patine de scotch noir,  cette esthétique graphique et interlope joue sur les codes d’un goût ambigu revendiqué par Marcel Devillers, se référençant aux ambiances du film de Verhoeven Showgirls ainsi qu’aux lumières des plans séquences de Brian de Palma.

Empruntant à la pratique du blaster of wall, clin d’oeil au mur de la chambre d’adolescent tapissé de posters de stars, le spectateur retrouve ces tonalités nineties au travers des photos de coupures de presses d’icônes au glamour dérisoire. A l’image de ces supports à fictions et réceptacles à projections qui font réfléchir le monde ou les époques, Etat des lieux de l’amour dresse un fil fantasmatique et rappelle un journal de bord découpé à la manière de notes biographiques, lesquels tiendraient lieux de cartels fantômes.

A la façon de reboots bruts et organiques, car c’est à partir de chutes d’anciennes oeuvres que l’artiste élabora les quelques pièces inédites présentées, l’exposition participe de cette idée de sérialité et d’une vision séquentielle du tableau. Chez Marcel Devillers, les notions de confection et de textures vont de pair avec le cut up et le collage généralisé, tels qu’on les retrouve dans son écriture, procédant par nappes et images qui se génèrent, les unes entre elles, s’entremêlant comme autant de dérives sensorielles. Conçus telles des perceptions immersives, flux imagés et atmosphériques racontées à la première personne, les textes* de Marcel Devillers participent de la même manière à une logique en échos où se mêle l’intime et le générique, le rythme stylisé et les images flottantes. Une manière d’être entre les éléments et de faire des montages tels que le décrit l’écrivain Jean-Jacques Schuhl : « Je rêve que l’auteur soit une sorte de récepteur. »

Cinématique et cosmétique, Etat des lieux de l’amour s’apparente à des Cool memories, qui explorent des dimensions hybrides de la représentation de même que les frontières entre les registres. De façon subliminale et prismatique, les œuvres au mur de Marcel Devillers jouent et brouillent les cartes comme une façon de tourner autours de l’idée du tableau, entretenant délibérément la zone de floue sur le statut des choses et celui d’un récit diffus, dont le narrateur pourrait être alors Marcel l’auteur ou Devillers le plasticien, l’un dans l’autre, et réciproquement.

Fréderic Emprou

* La note salée du désir, éd. Les Bains-Douches, 2017, Alençon.

   Cette nuit je dors, collection Fraîches Fictions, Zéro2 éditions, Les Bains-Douches, 2018,  Alençon.

 

Marcel Devillers – État des lieux de l’amour