Rolf Julius
Small music
Commissaire d’exposition : Maija Julius
31.01 – 15.03.2015
Les lieux de Quiétude
J’ai longtemps réfléchi sur comment créer des espaces où l’on peut se retirer et y trouver du repos, où l’on peut voir, entendre et se concentrer, où l’on est coupé du monde extérieur tout en y participant. Ils doivent être simples, vides et créer une ambiance de silence, avec l’aide de l’art ou de la musique, ou les deux combinés.
Je cherche des endroits qui peuvent être cachées, dans des appartements privés, dans des bâtiments publics, qui peuvent être dans la cave, ou solitaires dans une forêt, près d’un lac, ou dans la ville bruyante. Ils doivent être éparpillés partout : à Berlin, où j’habite, à Tokyo, Los Angeles ou New York ; le monde entier pourrait être couvert d’un réseau encore plus étroit de ces zones de calme, devenant des niches artistiques écologiques pour chacun.
On devrait y avoir accès à des moments précis et avoir le droit d’y entrer seul. Selon moi, le simple fait que des zones de tranquillité existent peut aider à calmer ce monde. Les lieux de quiétude ne sont pas nécessairement acoustiquement silencieux ; ils peuvent, au contraire, être bruyants ; ils sont donc tranquilles à une échelle différente. Au sein de la Société pour l’Art Actuel à Brême, en début d’année, j’ai fait mes premiers pas vers ce genre d’espace. Musique de Chambre n°1 en était le titre : une petite pièce vide à l’exception de deux colonnes blanches rectangulaires surmontées d’enceintes. Les enceintes étaient dirigées vers le milieu de la pièce, devant il y avait une chaise où l’on pouvait s’asseoir et, avec la musique dans son dos, regarder, à travers les fenêtres, le Pont Weser avec toute sa circulation et le fleuve. Dans ce cas, la musique était très importante, si importante que l’on n’était pas sensé se concentrer dessus, et l’on avait d’autant plus de raisons de regarder à travers la fenêtre. La musique émanant des deux enceintes fusionnait au niveau du cou de l’auditeur, et il le sentait précisément à cet endroit.
Je réfléchis à d’autres lieux de ce type, certains sans fenêtres, des pièces contenant une seule œuvre : une plaque de fer flottante, par exemple, qui semble flotter à travers la musique, flotter calmement… Je réfléchis à des endroits dans lesquels on peut se retirer seul, des pièces qui créent une ambiance de silence, mais pas un silence stupide… comment dire… un silence actif, une sorte d’état de suspension, de quiétude.
Il y a plusieurs œuvres que je pourrais confier à de tels lieux, de simples textes peut-être, ou des pigments jaunes et bleus, ou des enceintes qui respirent…
Rolf Julius, 1987
Né en 1939 dans le nord de l’Allemagne, Rolf Julius suit tout d’abord une formation classique dans le domaine des Beaux-arts. A la fin des années 70, il découvre petit à petit certains compositeurs contemporains (notamment La Monte Young à l’occasion de festivals ou à la radio) et s’engage plus avant dans des performances sonores qu’il réalise dans des parcs publics ou des contextes alternatifs. Ainsi, au début des années 80, Rolf Julius met déjà en place les bases d’un travail dans lequel l’espace sonore est privilégié : il explore de manière expérimentale les possibilités qu’offrent les techniques de diffusion du son, mais déjà (et ce sera une constante dans son attitude) les œuvres se développent dans un souci permanent de relation avec l’espace du monde, et avec la nature.Les années 1983-1984 marquent un moment important dans la vie de Julius qui part vivre à New-York : il rencontre alors la plupart des artistes et compositeurs essentiels dans le domaine de l’avant-garde expérimentale, notamment John Cage mais aussi Takehisa Kosugi, qui restera pour lui désormais un véritable maître. La fréquentation de toute cette époque d’effervescence intellectuelle et artistique aux Etats-Unis permet à Julius de confronter sa courte histoire personnelle à celle qui se développe outre-Atlantique depuis plus de vingt ans. Son œuvre n’est désormais plus isolée et elle trouve dès son retour en Europe une audience nouvelle. Mais c’est au Japon que le travail va être très rapidement reconnu et accueilli avec enthousiasme : l’artiste y est régulièrement invité pour des concerts-performances et des expositions où il peut montrer ses dessins et ses sculptures. La relation avec le Japon n’est pas un hasard cependant : il y a dans le travail de Rolf Julius un extrême souci de précision formelle et d’élégance qui tient aussi à la place que le vide occupe dans les œuvres. (Un lien évident avec la culture japonaise classique se retrouvera dans la manière d’intégrer des bols ou récipients de cuisine quotidiens comme diffuseurs sonores, mais surtout dans les nombreuses occasions d’installer ses « petites musiques » (Small Music est le titre du recueil de ses textes paru en Allemagne) dans des jardins traditionnels.
L’œuvre de Julius est présentée pour la première fois en France en 1980 à Paris (Ecouter par les yeux, l’Arc, Musée d’art moderne de la Ville de Paris), au Centre d’art la Criée à Rennes (1988), puis l’artiste sera régulièrement à Grenoble (Broken Music, Le Magasin, 1989-1990), Lyon (Musique en scène, 1996), Dijon (Frac Bourgogne, 2001) et Paris (Galerie Lara Vincy, 1997 et 2002) dans des expositions personnelles et des festivals de musique contemporains. La plus large présentation de son travail a eu lieu au Frac Limousin en 2003. Il est présent dans de nombreuses collections publiques françaises.