DESTINATION une exposition de PALETTE TERRE
Avec des peintures de Ludovic Beillard, Grichka Commaret, Bastien Cosson, Mathilde Ganancia, Benoît Maire.
16.03 – 28.04.2019
Texte de Lucy Stein
La presqu’île de l’île du bébé (Finis Terre)
04:48 – Mes kilos de grossesse me tirent vers le fond de mon lit – Il faut que j’aille dans un camp pour grosses.
Bébé, qui est aussi plutôt lourde, me donne un coup dans la tête et se tourne sur elle-même afin de se tortiller hors de portée de la lune, qui est descendante depuis à peine deux jours et transforme notre matelas en cosmos. Quel genre de néopaïenne fait des rêves récurrents de vols EasyJet en chute libre ?
Est-ce que le chemin que prend ma carrière est en train de m’atteindre ? La nuit je suis dans des aéroports, des avions descendant en piqué, ou dans d’hostiles vernissages métropolitains. L’éternel retour me ramasse et me dépose au terminal d’un aéroport dans une dense forêt de pins quelque part dans l’Europe oubliée.
Dans la vie éveillée, je vis dans un paysage insipide sans arbres, en haut d’une falaise du bord de la mer Celtique – Land’s End. C’est un endroit connu pour sa beauté dépouillée. J’étais déprimée quand j’ai déménagé ici, mais maintenant je suis heureuse, ou plutôt contente. Avec la maternité j’ai dû renoncer au droit à un plan B violent – en finalement je ne me jetterai pas du haut de la falaise. Cependant, d’après artfacts.net je me suis bel et bien jetée d’une falaise début 2015 quand j’ai emménagé dans le coin. La trajectoire montre une nette chute libre.
En fait j’ai trouvé que c’était plutôt une bonne année, c’est 2016 qui était vraiment horrible – mais 2016 était une mauvaise année pour tout le monde (sauf, naturellement, pour les adeptes du Brexit et de la ferveur nationale pour la politique de l’autruche). Il y avait beaucoup de pensées envahissantes à ce moment là – sexuelles, suicidaires – toutes portées par une vague d’inconsolable rage. Je ne pouvais pas me calmer donc mes peintures étaient virulentes et impétueuses et frénétiques. Voilà maintenant ce qu’est la peinture pour moi – une opération à réaliser avec des pensées intrusives : Agir / Effacer / Trancher – commencer en colère et sexy et violente et grâce à un procedé de correction, se rendre invisible.
Je ne pense pas à mon bébé quand je peins, je pense à l’espace Matriciel. Elle se retourne dans un tourbillon et me claque le visage avec ses deux pieds. Depuis que j’ai arrêté d’allaiter, mes hormones sont revenues et les effusions d’amour sont réelles – je l’aime.
J’ai l’impression que je ne sais même plus comment je me sens par rapport à la peinture contemporaine – je suis tellement perdue depuis que Londres a embrassé l’influence figurative des années 80. J’aime les années 80 autant que n’importe qui mais le marché me fait me sentir bouffie. Quelle cruauté! Dégâts niveau Grand Eros avec Nigel Farage – Libido Débridée.
Le Brexit c’est terriblement naze. Les bibliothèques ferment et on parle en néologismes avec la cadence institutionnelle d’un arrogant maître de conférence en biologie qui accélère lorsqu’il parle des organes reproducteurs humains aux étudiants Millénials… Je suis une peintre paraconceptuelle néopaïenne, ok ?
Nous avons le choix. Si rogue si cynique.
Il y avait des fenêtres partout dans l’exposition à Paris. On pouvait voir des toits et d’autres intimités. Nous avons fait des connections haut perchées et pleines de lumière parisienne. J’ai montré mes premiers travaux postpartum – j’essayais de comprendre comment je me sentais et tout ce qui en était sorti c’était des images de chevaliers et de l’invasion normande. Brexit ça veut dire quoi ?
Notre trio a amené encore plus de Sud-Ouest dans cet appartement Parisien qui en était déjà rempli. Nous étions si heureux là-bas, le bébé roulait sur le sol et je la tenais fort et moite dans la baignoire enfoncée dans le sol. On a aimé nos hôtes du Sud-Ouest immédiatement. Nous avons mangé de la nourriture qui avait le goût du fumier et bu de l’eau-de-vie douce-amère de la ferme. Nous étions réchauffés et les peintures sont devenues des carapaces pour de vrais problèmes qui se déroulaient en temps réel. Le 14 octobre on a pensé au Roi Harold et à son œil et aux conquérants et aux conquis – ce monde, celui dans lequel on vit – est après tout fait de gagnants et de perdants.
Mais il y avait de la solidarité et de l’espoir dans cet appartement aux fenêtres. Nous avions des conversations profondément habitées qui révélaient des opinions nuancées et passionnées – notre sincérité dévoilée. Nous avons bu le sirop doucereux. La chaleur humaine et l’intelligence se sont mêlées à la chaleur du soleil d’octobre, encore puissant à travers les vitres. Carreaux de fenêtres et choses funestes.
Les peintures sont devenues absorbantes et tendres, elles contenaient dans leur épaisse substance d’huile et de pigment les rires du bébé et son amour, et les cris des mouettes de la mer Celtique. La douleur de la matrice et la pénible irruption des rapports de force et des principes de combat pour l’amour sont devenus concevables dans cette atmosphère protectrice et généreuse. Les peintures ont lié les sensations aux questions, et il y avait de l’amour et de la solidarité dans les creux.
Lucy Stein
http://www.contemporaryartdaily.com/2019/04/destination-at-les-bains-douches/