Noémie Bablet
Tenue de promesse
04.11 – 21.12.22
Texte Noémie Bablet & Elsa Vettier
– « Tenue de promesse » : ce titre me fait penser à une anecdote racontée par l’artiste Lily Van Der Stokker dans son livre How I went to New York : 1983-1992. Alors qu’elle est connue pour ses peintures murales acidulées, elle assiste au vernissage de sa propre exposition dans le mauvais pantalon. Un modèle orange uni, en lieu et place de son traditionnel pantalon fleuri, dont elle se rend rapidement compte qu’il exacerbe le malaise d’ores et déjà induit par cette situation mondaine. Au-delà de son honnêteté réconfortante, l’anecdote a cela d’amusant et de surprenant que l’artiste, habituée à manipuler des teintes exubérantes, semble faire le constat soudain de leur inconfort. Comme si son goût l’avait, à cet endroit précis, trahie, ou qu’elle n’en était pas – socialement – à la hauteur : quoi de plus embarrassant qu’un vêtement qui ne nous valorise pas aux yeux des autres alors qu’il nous promettait une allure exceptionnelle ?
– J’aime bien cette anecdote. Le fait de parler d’inconfort ou d’impeccabilité d’une tenue, quand une tenue n’est pas seulement un arrangement textile mais aussi un comportement, comme le titre le suggère. Il y a ce vers de la poétesse Rae Armantrout que j’aime beaucoup : Behavior is a pile of clothes I might or might not wear.
– Je fais d’autant plus volontiers référence à Lily Van Der Stokker que tu regardes beaucoup son travail non ? On pourrait d’ailleurs aisément embrayer sur un relevé de vos affinités plastiques : un certain goût pour les motifs décoratifs, les couleurs franches, une fausse naïveté affichée…
– … l’inclusion de motifs biographiques dans la pratique picturale, le potentiel d’un dessin à être agrandi… elle est une référence importante pour moi, oui.
– Mais ce que l’anecdote para-artistique révèle touche, à mon sens, de plus près encore les travaux présentés aux Bains Douches : j’ai l’impression que tu y revendiques un goût immodéré des motifs et que tu les déclines en veillant à ce qu’ils ne deviennent jamais tout à fait accommodants.
– Je ne sais pas si je suis vraiment d’accord, je mène quand même un travail des formes et des couleurs afin d’accommoder les compositions, que le rendu soit … excitant ? De même, les cartes plastifiées et les fonds de couleurs sur lesquels je les place sont précisément choisis pour que l’ensemble coordonne.
– Avant la peinture, il y a la phase aménagée pour le dessin dont tu m’as dit qu’elle consistait en un « temps de pensée rapide et léger » où tu essaies de « rester dans tes mains ». Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’idée conductrice préalable ?
– Tout le contraire. Cette phase de dessin préparatoire qui s’autorise tous les outils est une phase de décantation de toutes mes recherches iconographiques des derniers mois, y compris celles que j’ai menées à la tissuthèque de La Piscine, musée d’art et d’industrie de Roubaix, où j’ai notamment consulté des livres d’échantillons du 19e et 20e siècle. C’est un moment de plaisir, de liberté, en même temps qu’un exercice de recherche dans le dessin. Je sais précisément ce que je sélectionne et ce que je développe de dessin en dessin. Il s’agit d’une phase de développement des possibles suivie d’une élimination des possibles. Le tout est très conscient et réfléchi.
– … tu choisis donc parmi ces dessins des extraits qui seront agrandis et peints. Ici ce sont essentiellement des fleurs avec un cœur et des pétales rondelets esquissés d’un seul trait. S’ensuit une série de translations : les dessins sont scannés, vectorisés, transformés en pochoir, apposés sur le bois préparé puis peints. Un processus extrêmement long que l’on pourrait décrire plus en détail ?
– Je ne sais pas si je veux parler plus précisément du processus, je crois que c’est aussi intéressant si on ne sait pas. Quand Sophie Vinet était face aux peintures je me souviens qu’elle m’avait dit que le résultat feignait la simplicité, mais que l’on sentait que le procédé ne l’était pas du tout.
– En effet, l’apparition (ou plutôt la réapparition) de ces petites fleurs « cartoonesques » est repoussé dans le temps comme si tu cherchais à maîtriser la fraîcheur et la spontanéité qui les avait fait naître une première fois sous la plume. L’image a été optimisée, impeccablement découpée et matifiée, presque agressive dans ses tonalités et son irréprochabilité. En capsule, cerclées, ces formes florales sont aussi soigneusement isolées et limitées dans leur « devenir-tapisserie ».
– Oui j’ai fait beaucoup de dessins de motifs contenus dans des cercles. Le cercle fait le lien avec mon expo précédente Credits et symbolise pour moi la polysémie de ce mot (estime / moyens / références). Mais qu’est-ce que tu veux dire par un « limitées dans leur devenir-tapisserie » ?
– Que ces motifs ne se destinent pas à emplir un espace donné, à se raccorder entre eux. Comme ces anneaux rayés dessinés à la main et coloriés au crayon de couleur qui, alors qu’ils sont précisément des motifs au raccord, ne se rejoignent jamais. Reproductibles pour rien. Ils sont élaborés dans le voisinage d’ouvrages sur l’histoire de motifs textiles japonais des années 50, les mouchoirs vintages, ou les tartans, et pourtant ne font jamais tissu. J’ai l’impression qu’ils se refusent à être vivables, portables.
– Ah ! Je les veux pourtant assez décoratifs et je trouve que les maisons constituent un bon endroit pour les images et les œuvres. J’aime l’idée de vivre avec, d’où la référence dans l’exposition à Charleston Farmhouse et au Bloomsbury Group. Je parle aussi souvent du livre Tell it to my heart : collected by Julie Ault, où elle décrit la constitution de sa collection et où les œuvres sont photographiées dans leur cadre domestique. D’ailleurs, je n’aurai rien contre le fait de les adapter au vêtement, j’ai déjà souhaité engager des collaborations et poursuivre mes recherches dans des collections de vêtements.
– C’est drôle car je suis passée l’autre jour devant une vitrine où était présentée une collection de vêtements appelée Late Bloomers – un des titres que tu avais envisagé pour l’exposition et une expression pour qualifier les gens qui s’épanouissent sur le tard. Dans les cartes plastifiées choisies parmi ta collection pour figurer dans l’exposition, beaucoup font allusion à des artistes aux carrières discrètes – Daan Van Golden, Pati Hill – dont le travail axé sur les motifs, les textiles et leur encapsulage n’a pas été immédiatement reconnu.
– Il est intéressant de noter que Daan Van Golden et Pati Hill n’étaient pas discret·es pour les mêmes raisons sociales et financières, ni de la même manière. Et ce sont des questions ici esquissées qui m’intéressent beaucoup : pourquoi, comment un·e artiste peut décider d’arrêter ou de poursuivre son travail.
– Retenir ces motifs, les faire advenir dans la durée, les empêcher d’opérer complètement, serait alors une manière de tordre un peu cette fascination pour un apparat que seuls les gens très à l’aise se permettent ; de rester du côté de leur besogne … ? Peut-être que ces peintures sont pour tout·es celleux qui adorent les motifs ou les couleurs mais n’auraient jamais le courage d’en porter, du moins en public.
– Peut-être qu’il s’agit moins de la peur d’apparaître en public ou de ne pas oser, que de la possibilité même de prendre part à l’exposition, aux expositions. Et si le motif de la durée est important ici, celui d’une continuité possible dans le travail l’est tout autant, oui. La tenue de promesse c’est alors un peu la promesse de mener son travail en étant soutenu·e, personnellement, socialement, institutionnellement et financièrement.
Noémie Bablet & Elsa Vettier
Septembre 2022
– Tenue de promesse: this title makes me think of an anecdote told by the artist Lily Van Der Stokker in her book How I Went to New York: 1983-1992. While she is known for her bright candy-colored wall paintings, she went to the opening of her own exhibition wearing the wrong pants. A plain orange pair, instead of her usual floral pants, which, she quickly realized, exacerbated the uneasiness she felt about attending this social event in the first place. In addition to its comforting honesty, this story is all the more funny and surprising because here this artist accustomed to flaunting exuberant colors suddenly experiences serious color discomfort. As if her taste had, at this precise moment, betrayed her, or as if she were not – socially – up to it. What could be more embarrassing than wearing something that does not make you look good in the eyes of others, even though it promised to be positively smashing?
– I really like this story. It talks about the sense of discomfort or impeccability produced by an outfit, when what we wear is not just a question of cloth but also of behavior, as the title suggests. (An open-ended play on words, it can mean “keeping a promise,” “a promising outfit,” or “promising conduct.”) There’s a line from the poet Rae Armantrout I like a lot: “Behavior is a pile of clothes I might or might not wear.”
– For me the reference to Lily Van Der Stokker is all the more fitting because you’ve looked at her work a lot, haven’t you? We could easily start by talking about your aesthetic affinities: a certain taste for decorative patterns, strong colors, a deliberate false naivety…
… the inclusion of biographical motifs in one’s work, a drawing’s potential to be enlarged… she’s an important reference for me, that’s true.
– But to me this para-artistic story says a lot about your exhibition at the Bains-Douches. I have the impression that you’re not afraid to show an excessive taste for motifs while deploying them in such a way that they never become easy arrangements.
– I’m not sure I agree with that, but I do arrange shapes and colors to construct compositions so that the result is… exciting? Likewise, the laminated cards and the colored backgrounds I put them on are precisely chosen so that everything comes together as a coordinated whole.
– Before making a painting, there is a drawing phase, which you described as “a time for quick, light thinking” that you try to carry out with your hands. Does that mean that you don’t think it through before that?
– No, just the opposite. During this preparatory drawing phase I can use any tool I want. It’s a phase for the settling out of all the images I’ve researched during the last few months, including at La Piscine, the arts and industry museum in Roubaix, where I consulted their collection of textile sample books from the nineteenth and twentieth centuries. It’s a moment of pleasure and freedom, and at the same time an exercise in exploration through drawing. I know exactly what I’m selecting and what I’m developing from one drawing to the next. First I develop possibilities, then I start to eliminate them. It’s very conscious and full of intense thinking.
– I don’t know if I want to talk more about the process. It’s just as interesting if people don’t know anything about it. When Sophie Vinet was looking at my paintings, I remember her telling me that the result seemed falsely simple, but it was clear that the process was not that simple at all.
– Actually, the appearance (or rather reappearance) of these cartoonish little flowers is postponed, as if you were trying to master the freshness and spontaneity that gave birth to them when you first drew them. The image has been optimized, impeccably cropped and matted, almost aggressive in its tones and its irreproachability. Encapsulated, encircled, these floral shapes are also carefully isolated and held back so that they can never achieve their potential as tapestry.
– Yes, I’ve done many drawings of motifs contained within circles. These circles are a link to my previous exhibition Credits and symbolize, for me, the polysemy of that word (esteem, financial backing, source references). But what do you mean when you say they are held back from fully becoming a tapestry?
– That these patterns are not intended to fill a given space, to connect with one other. Like these hand-drawn, stripped, colored rings that are aligned but never connect. There is no purpose to their reproducibility. They have been inspired by books about the history of Japanese textile patterns in the 1950s, designs used to make vintage handkerchiefs and tartans and yet they never get close to looking like fabric. As if they refused to become wearable, lived in.
– Well. I do want them to be fairly decorative, and I find houses are a good place for images and artworks. I like the idea of living with them, which is why there’s a reference in the show to the Charleston Farmhouse and the Bloomsbury Group. I often talk about the book Tell it to my heart: collected by Julie Ault, where she describes how she acquired her collection and how the artworks were photographed in their domestic environment. Furthermore, I would have no objection to adopting them for clothes; I’ve wanted to collaborate and continue my explorations in fashion collections.
– That’s funny, because just the other day I passed a store window displaying a line of clothing called “Late Bloomers”– one of the titles you originally considered for this show. Many of the laminated cards you selected from your collection for the exhibition feature artists, like Daan Van Golden and Pati Hill, whose practice based on decorative motifs, textiles and their encapsulation was slow to gain recognition.
– It’s interesting to note that Daan Van Golden and PatiHill’s careers were not discreet in the same way, nor for the same social and financial reasons. I’m very interested in such questions: why and how does an artist decide whether to stop or continue working.
– Holding back these patterns over time, keeping them from completely blooming – isn’t that a way to give a slight twist to the fascination for the kind of pomp that only people who are very much at ease can pull off; and rather remain closer to their elaboration? Maybe these paintings are for people who love patterns and color but would never dare wearing them, in public, at least.
– Maybe it’s not so much about a fear of being seen in public or not daring to do so, as about being able to take part in the show, in shows in general. While the motif of time, keeping going for the duration, is important here, equally important is the question of continuity in one’s work. Then Tenue de promesse is the promise to keep on working, while being supported personally, socially, institutionally and financially.
Noémie Bablet & Elsa Vettier
Septembre 2022