Tom Johnson
13.01.2018 – 25.02.2018
Je suis né au Colorado dans une petite ville où je n’avais pas beaucoup de possibilités. Mais j’avais un très bon professeur de piano, Rita Hutcherson. Grâce à elle, j’en savais assez pour être accepté à Yale University. Après ça, j’étais très compétent avec le système de son, d’orchestration. Je pouvais composer, mais je n’étais pas un compositeur.
Alors je suis allé étudier avec Morton Feldman qui n’était pas connu à l’époque. Il ne pouvait même pas être accepté dans une université parce qu’il n’avait pas de diplôme. Mais il avait cette musique très spéciale qu’il était en train d’écrire, il était un bon ami de John Cage, il connaissait tous les peintres. Je me suis dit qu’il connaît beaucoup de choses, je veux étudier avec cet homme. J’avais travaillé avec tous les professeurs possibles, mais c’était le moment de trouver mon maître. C’était 15 dollars à chaque fois, c’était beaucoup d’argent pour moi à l’époque. Donc j’ai payé, j’ai acheté cette sagesse, c’était très utile. Après deux ans avec lui, j’étais compositeur
Le minimalisme à New York en 1970 était en train de commencer. J’ai rencontré Phil Glass, Éliane Radigue, Phill Niblock. C’était des musiciens qui étaient intéressés à faire une musique simple, à s’échapper du système post-Webern. Nous étions des classiques, et nous voulions faire une musique bien pensée, bien écrite.
Probablement, mes premières pièces importantes sont l’Opéra de quatre notes de 1972 et Une heure pour piano de 1973. Ce sont des compositions très minimales, avec des motifs qui reviennent, c’est toujours un peu la même chose, toujours un peu différent. Einstein on the Beach de Bob Wilson a aussi beaucoup compté pour moi, mais Deafman Glance fut encore plus décisif. C’était encore plus minimal et très long. J’ai adoré cette lenteur, et ça m’a ralenti un peu, ça m’a donné envie de faire des pièces plus longues aussi.
Quelques années après, j’ai voulu mettre un peu plus de logique dans mon minimalisme. J’ai commencé la musique à compter. Lorsque j’ai vu les cubes incomplets de Sol LeWitt, et quelques une de ses autres sculptures, à la fois minimalistes et logiques, j’ai eu envie de faire quelque chose d’aussi beau que ça.
Ce qui m’intéresse vraiment c’est le chiffre éternel. Je crois que 1,2,3,4,5 existent avant l’homme, avant toute chose. La logique des chiffres, c’est la construction du monde, ce n’est pas un truc inventé par l’homme.
Et donc quand on étudie les chiffres, c’est très beau et sa structure peut devenir une belle musique. Comme rationaliste, je veux étudier la musique de manière rationnelle, et faire une musique qui vient d’une idée vague, du rêve, et surtout pas du sentiment, je n’ai pas confiance en mes sentiments, mais quelque chose de réel, quelque chose d’objectif.
Pour mes dessins, je fais par exemple du Block Design. Je pars de 12 notes, que je divise en sous-groupe de trois (1,2,4 ou 5,6,9 ou 2,6,11…), de manière à ce que chaque paire de chiffres arrive deux fois dans un sous-groupe. Donc il y a deux triplés qui contiennent 1 et 2, deux autres qui contiennent 6 et 9, et encore deux qui contiennent 3 et 11, et ainsi de suite. Après, on peut faire une liaison entre les groupes de trois chiffres qui possèdent deux notes identiques. Ainsi, 1,2,3 peut-être lié avec 1,2,6 ou avec 1,3,5 ou encore 2,3,11. Mais j’utilise aussi d’autres systèmes, comme lorsque je prends toutes les combinaisons de trois chiffres qui font la somme de 17 (1 et 2 et 14 ou 1 et 3 et 13…). On fait une formation avec ça, on commence avec le chiffre le plus bas et on termine avec le chiffre le plus haut. Il y a 1000 choses qui donnent des formations merveilleuses.
Le départ ce n’est ni la musique, ni le dessin, ce sont les mathématiques. Si il y a un Block Design intéressant, je veux le dessiner, je veux regarder ce que ça donne, quelle forme émerge quand je fais toutes les liaisons. Tout commence avec la formation mathématique puis, si je trouve les liaisons, ça devient un dessin et si tout va bien, ça devient un morceau de musique.
Mais très souvent je n’arrive pas à trouver la traduction musicale. Mais je fais le dessin quand même, et si les suites de chiffres sont quand même belles, et que je peux apprécier visuellement et logiquement ce que je vois, je le garde. Heureusement beaucoup de dessins sont aussi de bons morceaux de musique mais c’est pas toujours le cas. Et dans cette exposition, il y a beaucoup de dessins qui ne sont pas musicaux, qui ne seront jamais musicaux, à moins que, peut-être, quelqu’un d’autre trouve la traduction que je n’ai pas trouvé moi.
Un de mes morceaux le plus apprécié est Les Vaches de Nariyana ; c’est une suite logique qui vient d’un mathématicien indien du XIVéme siècle, à une époque où les mathématiques n’étaient pas très technologiques comme aujourd’hui. Pour ce beau morceau de musique, je n’ai jamais trouvé un dessin, je ne peux pas le dessiner, je ne sais pas le dessiner. On peut faire des tables, des graphes mais ce n’est pas beau comme système visuel. La logique est parfois visuelle, parfois musicale, parfois ce sont les deux à la fois, parfois c’est ni l’un ni l’autre.
Mais c’est comme ça, je continue à chercher l’ordre parmi les nombres.