Hugo Pernet & Hugo Schüwer-Boss
Mirroring
20.06 – 10.08.2014
Ce serait presque ce que l’on pourrait appeler une exposition « sur le motif ». « Travailler « sur le motif », c’est se placer en présence d’un modèle, la toile vierge devant en principe devenir le miroir, plus ou moins fidèle, du spectacle contrôlé par le peintre[1] ». Sur le motif, donc, car toutes les peintures ont été produites sur place, en vue de l’exposition et, surtout, en tenant compte des spécificités du lieu de cette exposition, ce qui, pour des peintures abstraites, est tout de même suffisamment rare pour être signalé. Bien sûr, ce ne seront pas les premiers monochromes à être produits en fonction des dimensions de leur lieu de monstration, cependant, cette précision porte néanmoins à sourire. L’idée m’est assez séduisante en effet que d’imaginer les deux artistes immobiles et muets devant leurs chevalets, tout occupés à fixer le paysage qui s’offre à eux, la densité de leur concentration se lisant à leurs fronts serrés, leurs yeux mi-fermés, tout occupés, donc, à immortaliser des monochromes aux dimensions exactes des fenêtres des Bains-Douches d’Alençon, à transcrire sur des toiles fraîchement apprêtées l’intervalle des piliers engagés qui scandent l’architecture. Et la lumière projetant ses découpes géométriques anamorphosées sur les murs sans se soucier de ce qui y sera accroché…
Hugo Pernet et Hugo Schüwer-Boss n’en sont pas à leur première collaboration, néanmoins, malgré « l’homonymie fortuite[2] », de leur prénom, ils tiennent à préciser qu’ils ne travaillent pas en duo[3]. C’est ainsi que l’on en revient à la figure du miroir évoquée plus haut. En vérité, s’ils ont pensé l’exposition une fois dans les lieux, ils ont en réalité réalisé les toiles au sous-sol de la salle des Bains-Douches, ajoutant par là un filtre au motif, celui de la mémoire ou de la persistance rétinienne – selon la vitesse à laquelle ils pouvaient descendre l’escalier pour rejoindre leur « chevalet ». Peut-être comme l’Alice qui se retrouve derrière le miroir auront-ils inventé « une nouvelle façon de descendre un escalier vite et bien[4] ».
Des monochromes disais-je, pourtant m’objecterez-vous, certains ne le sont pas tant que ca. Et vous aurez raison tout autant que moi. Tandis que ceux d’Hugo Pernet, dont deux sont peints aux couleurs d’une toile crue, sont encadrés de caisses américaines, ceux d’Hugo Schüwer-Boss figurent des cadres colorés à leur entour. Selon le point de vue que l’on adoptera, ce seront donc des peintures monochromes ou polychromes que l’on regardera. Pernet, quant à lui, pousse la perfidie à peindre ses encadrements et à les assortir à ses autres peintures : il a peint deux monochromes couleur toile et un que l’on pourrait qualifier de « lavande », aussi celui qui est de couleur toile et pensé symétriquement à celui qui est couleur lavande a-t-il une caisse lavande. « En effet profondeur garanti ! » comme dit l’un des sites de vente en ligne d’encadrements de ce type ; Et tout est comme ca ici, où que l’on regarde dans l’espace, chaque élément renvoie à un autre. Que ce soit la forme des fenêtres et leur agencement ou la largeur des portes, on est sans cesse ballotté du trivial au pictural et inversement. Avec « Mirroring », Hugo P. et Hugo S.-B. construisent en six éléments d’une effarante simplicité apparente un inextricable jeu de logique aussi fascinant que vertigineux. De toute manière, tout l’intérêt d’un miroir est de passer voir ce qu’il y a de l’autre côté.
[1] http://www.universalis.fr/encyclopedie/motif-peinture/
[2] Hugo Pernet, dans le texte accompagnant l’exposition.
[3] Bien que nous allions finir par le croire puisqu’ils exposaient aussi tous deux ensemble à La capelleta à Mosset (la ville, pas le peintre) Languedoc-Roussillon, du 12 juillet au 10 août 2014
[4] Lewis Carroll, Through the Looking-Glass, (1871), Collector’s Library, londres, 2004, p.150. « She (…) ran downstairs-or, at least, it wasn’t exactly running, but a new invention for getting downstairs quickly and easily, as Alice said to herself. »