Jef Geys
Le tour de France 1969 d’Eddy Merckx
01.04 – 07.05.2017
Pendant l’été 1969 Jef Geys décide de suivre le Tour de France. Passionné de cyclisme comme beaucoup de ses compatriotes, l’artiste belge photographie les étapes de ce qui sera la première victoire d’Eddy Merckx. Il réalise alors une série de photographies qui juxtaposent des réalités plurielles : sociologiques, urbanistiques, ethnographiques ou artistiques. Les images traitent les coureurs à parts égales avec les fans et les badauds. Les logos et les publicités dans les villes-étapes constituent la littérature symbolique de l’événement. Les points de vue sont ceux de l’amateur, du véritable amateur, de celui qui, dans un geste répétitif et rarement assouvi, sans projet esthétique aucun, incarnant la position critique la plus pure, est un voyeur.
Les 67 photographies sont en noir & blanc. Exposées pour la première fois, presque cinquante ans après leurs créations, elles pourraient être marquées d’une valeur documentaire ou nostalgique. C’est compter sans le caractère acéré de l’œuvre de Jef Geys, lequel crée pour l’occasion des encadrements « boulonnés ».
Si le 20 juillet 1969 est le jour de la première victoire d’Eddy Merckx, c’est aussi celui du premier pas de l’homme sur la lune. D’un côté une victoire planétaire et universelle, de l’autre une victoire sportive nationale, à mettre sur le même plan si l’on considère l’impact émotionnel d’un peuple passionné de cyclisme, pour qui le Tour de France représente la consécration. Un montage de deux pages de journaux belges du 21 et 22 juillet 1969 ponctue l’exposition où le premier pas sur la lune et la première victoire d’Eddy Merckx y sont annoncés sur un pied d’égalité.
Dés ses débuts en 1958, Jef Geys accorde une place prépondérante à la photographie. Suivi en Belgique par Jacques Charlier et Marcel Broodthaers dans les années 1960, ce choix précoce de la photographie fait de Jef Geys un pionnier dans le monde de l’art belge et rejoint aussi les grands noms de la scène conceptuelle artistique internationale comme Ed Ruscha, Robert Smithson, John Baldessari et Douglas Huebler.
L’exposition présentée aux Bains-Douches réactive une série de photographies contenues dans un livre d’artiste intitulé Al de zwart-wit foto’s tot 1998 (Toutes les photos noir et blanc jusqu’en 1998) – ouvrage qui contient cinq cents pages de photographies (1958-1998) disposées aléatoirement sous forme de planches contact – dont il propose une version « éclatée ». Chez Jef Geys, pratiques photographique et archiviste sont indissociables. L’archive de l’art et l’art de l’archive se confondent dans une seule et même pratique dès lors que l’artiste se donne la liberté de définir sa propre notion de l’œuvre. Ni œuvre unique, ni multiple, ni archive, il n’y a pour Jef Geys que des versions ; des traductions d’évènements personnels sous la forme artistique. Kome est le nom qu’il donne à une grande partie de son travail ; il signifie « œuvre en plusieurs exemplaires ». C’est pourquoi la valeur d’un journal, d’une photographie ou d’un film est pour lui équivalente à celle de la peinture, de la sculpture ou encore de leurs notices.
Cette remise en cause des standards de l’œuvre d’art peut le conduire à photographier ses peintures pour les répertorier sur des feuilles de classeur lesquelles prennent le statut d’œuvre ; la liste des œuvres elle-même étant exposée.
Jef Geys investit sans jamais hiérarchiser toutes les réalités qui forment son environnement quotidien, qu’elles soient d’ordre personnel, culturel ou universel. Il chemine par conséquent très naturellement à travers toutes les formes médiatiques possibles :le dessin, la peinture, la sculpture, la langue, la photographie, le film ou le big data. Cette acuité à produire au quotidien une langue artistique sous toutes ses formes, le conduit, comme instituteur, à traduire le programme d’éducation en programme artistique, et, comme graphiste, à investir de son propre travail le journal dans lequel il travaille jusqu’à le reprendre à son compte. C’est ainsi que KEMPENS Informatieblad, le journal local de sa région, devient le support artistique des ses propres recherches et commentaires sur son travail, ainsi que l’organe de presse de ses expositions en lieu et place de catalogues.
Récemment un scientifique définissait le principe de volonté comme l’acte du bras qui se lève à la seconde même où l’on veut le lever. Le travail de Jef Geys est un acte volontaire et ses œuvres des objets nécessaires. Là réside sans doute le secret d’une œuvre à la fois radicale qui ne supporte d’autres formes que les formes nécessaires – et n’existe que lorsqu’elle révèle l’ensemble des fréquences communes aux diverses réalités de la vie. L’œuvre de Jef Geys est en outre légère et modeste, conséquence de la lucidité existentielle qui anime son auteur. Percevoir, reconnaître, capter : une trilogie de la conscience, de l’engagement et de la transmission, à l’œuvre sans aucun doute dans le travail et la vie de l’artiste.
Comment dès lors lire ou commenter une œuvre d’action directe, qui à l’opposé du commentaire distancié, puise sa source dans l’acte quotidien et plus concrètement, dans son jardin, depuis l’école où il enseignait, le journal où il collaborait, le bar qu’il dirigeait… et, s’achève sur un territoire résolument étranger à la critique d’art ou à la théorie de l’esthétique : celui de la reprise, qui comme en musique, confirme et augmente la référence ?
L’intégrité a ceci de particulier qu’elle se hume, se déguste ; on peut reconnaître sa rondeur, sa plénitude, mais il est difficile d’en faire le commentaire sans la disperser. Rappelez-vous alors simplement, lorsque vous visiterez l’exposition Le Tour de France 1969 d’Eddy Merckx, de la liberté que vous avez-vous-mêmes vécue à pratiquer un sport ou un loisir, à vous approprier la vie de votre vedette, à baigner dans la foule des courses ou des matchs, quand les têtes des supporters font partie du spectacle autant que la littérature publicitaire, les vêtements ou les coiffures des participants.
Quant à la fascination que l’œuvre de Jef Geys génère chez tous ceux qui s’y penchent, elle est sans doute due au pouvoir réfléchissant de l’artiste. Les artistes, selon la formule de Marcel Proust, sont ceux qui ont le pouvoir, cessant brusquement de vivre pour eux-mêmes, de rendre leur personnalité pareille à un miroir, de telle sorte que leur vie s’y reflète ; « le génie consistant dans le pouvoir réfléchissant et non dans la qualité intrinsèque du spectacle reflété ».
http://www.contemporaryartdaily.com/2017/05/jef-geys-at-les-bains-douches/
http://www.paris-art.com/tour-de-france-1969-deddy-merckx/
http://i-ac.eu/fr/expositions/24_in-situ/2017/401_JEF-GEYS
https://www.mowwgli.com/events/jef-geys-tour-de-france-1969-deddy-merckx/