Laura Gozlan

Laura Gozlan

The Hierarchy of Lows

20.05 – 17.07.2022

Texte Maija Rudovska

 

Up is heavens, location of power, down is foul

«En haut les cieux, le siège du pouvoir, en bas la fange, les égouts» dit Mum, la protagoniste de Laura Gozlan, dans la scène d’introduction de Foulplay (2022), série de vidéos qui suit les « rencontres » que fait Mum. Si le pouvoir a son siège dans les cieux, que contiennent les égouts (the foul) ? La saleté, la puanteur, la crasse, la perte, le chagrin et enfin la mort ? Ou pourrait-il s’agir d’un lieu de purification et de résurrection ? Pouvons-nous considérer la souillure comme une puissante source de libération ? Les égouts peuvent-ils se transformer en lieu de liberté et de magie ?

Un souterrain voûté (la Cloaca Maxima) plein d’une eau grisâtre, aux parois embrumées sur lesquelles dansent des ombres, tel est le théâtre des opérations symboliques de Mum, qui inhale des substances et se masturbe régulièrement. On entend quelquefois sonner un smartphone intrusif. Mum décroche et parle à Byron (inconnu du spectateur) d’une voix murmurante, séductrice, quelquefois pressante. Elle porte une blouse pêche et de longs ongles, bien faits, couleur vert fumé. Ses cheveux sont gras, en bataille. Elle doit être entre deux âges. Son visage paraît vieux, fatigué, morne et graisseux. Qui est-elle ? Peut-être la Mum de Gozlan est-elle un personnage mythologique ou archétypal, vivant dans un monde post-apocalyptique – imagerie empruntée au genre de l’horreur et à l’esthétique de la science-fiction, que Gozlan mobilise volontiers. Au premier abord Mum paraît aimable et s’exprime d’une voix agréable et amicale ; il y a néanmoins chez elle quelque chose de suspect et d’importun. 

Son apparence plutôt grotesque pourrait être interprétée comme une forme de protestation contre la réalité filtrée et embellie que nous imposent aujourd’hui les réseaux sociaux. Mais on peut difficilement dire qu’elle s’oppose à quoi que ce soit ou plutôt, s’il ne s’agit pas en fait d’un acte d’obéissance – notamment à son corps et à ses impulsions. La masturbation, comme Gozlan essaie de le montrer, est une migration de la partie haute (tête, intelligence, connaissance, quel que soit le nom qu’on lui donne) vers la partie basse. C’est sans aucun doute une arme rendue aux femmes afin qu’elles libèrent leur plaisir, même hors d’un contexte sexuel. La masturbation permet d’entrer dans une forme de magie. La magie du corps. Une conception très répandue veut que la puissance magique découle de l’énergie sexuelle. Mais ici, il semble que ce ne soit pas tout à fait la question. La démarche de Gozlan tourne le dos aux influenceuses New Age qui éveillent leur puissance féminine (y compris sexuelle) en exhibant leurs modes de vie apprêtés ; il ne s’agit pas non plus de ces sorcières modernes autoproclamées qui se livrent à des rituels païens à la Burning Man *. Au contraire, concevons plutôt une magie complexe et qui proviendrait de l’horreur : la magie du soin, de la purification – parmi les déchets. Peut-être le terme otherworld (« autremonde »), inventé par Susan Greenwood, pourrait-il être pertinent. Ainsi Greenwood décrit-elle cet « autremonde » : « Une terre d’abondance […]. C’est à un soupir d’ici, c’est une rupture dans la conscience que de percevoir la vision globale, et les fils tissés à travers tout ce qui a jamais existé. C’est quelque chose de multidimensionnel, à un battement de cœur d’ici. »* L’œuvre de Gozlan est influencée par l’autrice féministe Starhawk, activiste militante féministe et anti-guerre depuis les années 1970. Étudiant les relations entre moi physique et moi spirituel, Starhawk s’intéresse aux femmes qui se connectent à la Terre et à tout ce qui est naturel. Dans l’œuvre de Gozlan, telle que nous la voyons, il pourrait s’agir d’une métaphore très directe : les égouts, le cloaque, la souillure, la saleté… L’artiste évoque Vénus Cloacina, déesse romaine de la crasse, de la purification et de l’assainissement, et qui règne sur les égouts. Les dieux de l’Antiquité sont parfois des entités conflictuelles – comme Mum. Comme aussi Baba Yaga, sorcière ambiguë qui accompagne la mort en même temps qu’elle fait office de gardienne de la nature (Terre-Mère, déesse chthonienne) et qu’on peut aussi considérer comme une mère phallique.

Assise dans une voiture, Mum se procure du plaisir, et alors qu’elle atteint l’orgasme, elle s’adresse à Byron :  « Est-ce que tu me demandes d’apaiser la crise sociale actuelle par les voies de la magie sexuelle ?» Suit un rire profond et cynique. Ce qui indique peut-être – je t’ai grugé tout du long ? Mum pourrait être un ogre qui dévore ses victimes au sens sexuel, ou la reine des Cloacina (du latin cloaca, canalisation, égout, et de cluo, nettoyer). L’un comme l’autre, observe Gozlan, ouvrent l’arche de la magie. 

Maija Rudovska

 

*Burning Man est une manifestation culturelle d’inspiration néo-païenne, qui rassemble depuis 1986 des dizaines de milliers de personnes chaque année dans le désert du Nevada. [NdT]

*Magic, Witchcraft and the Otherworld: An Anthropology, Oxford/New York, Berg, 2000.

_________

“Up is heavens, location of power, down is Foul,” says Mum, Laura Gozlan’s protagonist in the entering scene of Foulplay (2022), a video series that follows Mum’s so called encounters. If the power is located in heavens, what is placed in the foul? Dirt, stench, filth, loss, grief and eventually death? Or could it be a place for cleansing and resurrection? Can we look at grime as a powerful source of liberation? The foul transforming into a place of freedom and magic?

A vaulted underground (Cloaca Maxima) full with greyish water, shadows dancing on its murky walls, acts as a symbolic stage for Mum’s desires, and who inhales some kind of substance and regularly masturbates. Sometimes we hear ringing of an intrusive smartphone. Mum picks up and speaks to Byron (who is unknown to the viewer), in a whispering, seductive voice, at times demanding. She wears a peachy blouse, with well made long nails in smokey green colour. Her hair is greasy, messy. She might be middle aged. Her face looks old, tired, grim and greasy. Who is she? Perhaps Gozlan’s Mum is a mythological or archetypal character, living through a post-apocalyptic world – an imagery borrowed from the horror genre and sci-fi aesthetics that Gozlan likes to deploy. Mum might seem kind, speaking in an alluring, friendly voice, yet there’s something dubious and demanding in her at the same time.

Her rather grotesque appearance could be seen as a protest to the filtered beautified reality that we live through social media today. Yet, it’s hard to say whether she opposes anything, or rather, it could be an act of obeying – especially to ones own body and impulses. Masturbation, as Gozlan tries to indicate, is a migration from upper part (head, intelligence, knowledge or whatever you want to call it) to lower part. This is definitely a tool given back to women to liberate their pleasure, however not explicitly in a sexual context. The masturbation allows one to enter into a kind of magic. Magic of the body. A widespread view is that sexual energy provides the power behind magic. But here, it seems not exactly the point. Gozlan’s approach runs contrary to New Age Instagrammers who awaken their female powers (including sexual) by showing well groomed lifestyles, nor is it about modern self-made witches who run pagan rituals a la Burning Man *aesthetics. Instead, think of a magic that is complex and that derives from horror; the magic of healing, purifying – in the midst of waste. Perhaps Susan Greenwood’s coined term “otherworld” is of a relevance here. As Greenwood describes it: “A land of everything […]. It is a whisper away, it is a shift in consciousness to see the bigger picture and the threads that weave through everything that has ever existed. It is multidimensional, a heartbeat away” *. Gozlan’s work is inspired by the feminist author Starhawk, who since the 1970s has been strongly advocating for ecofeminism and anti-war activism. Interested in relationships between the physical and spiritual self, Starhawk draws attention to women connecting to the Earth and anything natural. In Gozlan’s work, as we see it, this could be very direct metaphor – a foul, cloaca, grime, dirt … the artist uses a reference to Cloacina, an ancient Roman goddess of filth, purification and cleansing, who presides over the sewers. Ancient gods can be very conflicting characters, and so is Mum. Like Baba Yaga, an ambiguous witch who accompanies death, as well as serving as a guardian of nature (Earth Goddess) and who could be even seen as a phallic mother.

Mum is sitting in a car pleasuring herself, and while reaching an orgasm she addresses Byron: “…are you asking me to alleviate the current social issue by means of Sex Magic”? That is followed by a deep, cynical laugh. Maybe it indicates – I’ve hoaxed you all along? She might be an ogre who devours their victims in a sexual sense, or she may be a queen of Cloacina (stemming from the Latin cloaca (drains, sewer) and cluo (to cleanse)). Either of these, as Gozlan points out, opens the arch of magic.

Maija Rudovska

 

*Burning Man is a neo-pagan-inspired cultural event that has been gathering tens of thousands of people every year in the Nevada desert since 1986. [NdT]

*Magic, Witchcraft and the Otherworld: An Anthropology, Oxford/New York, Berg, 2000.

 

Photos © Romain Darnaud

Art Viewer

Contemporary Art Daily

Tzvetnik

Artfeed

Contemporary Art Library

Kuba Paris

Scandale Project

Slash/

Point Contemporain