Lucile Littot

J’ai tout vu, j’ai tout su et j’ai tout oublié
Song N.3 Hotel California

 12.11 – 28.12.2016

 

J’ai tout vu, j’ai tout su, et j’ai tout oublié

Song N.3 Hotel California

Elle fonce en 270 chevaux à travers le soleil d’argent et les ciels embrumés. Elle a rendez-vous.
Elle a laissé ses longs cheveux blancs détachés pour les sentir flotter et fouetter son visage à chaque accélération. Tant pis pour le brushing.
Ses lèvres recousues sont peintes de rouge et comme chaque semaine, à la manière des vénitiennes, elle a frotté ses dents avec un mélange de nacre, de poudre de dragon, de noyau de pêche, et d’os de sèche pour leur donner la blancheur aristocratique.
SMILE YOU ARE ON CAMERA !

Au feu rouge, elle contemple les danseuses virevoltant sur les barres étincelantes ; Membres amputés et robes de princesse déchirées. Elles se trémoussent sur les décombres des miroirs brisés, clubs apocalyptiques à ciel ouvert, vestiges de la ville tombeau.
L’une des filles lui sourit d’un sourire édenté. Feu vert, Elle lui balance trois dollars puis elle accélère.

Dans la société du paraître, il n’y a que les écorchés qui l’interpellent.

Elle aime conduire des heures durant vers le néant, l’esprit divague et les souvenirs défilent.
Le bruit d’une bombe siffla à ses Oreilles et la carrosserie de la Mercedes bleu poudré garée en face du Gaylord prit feu.
Elle n’eut pas un seul sursaut de surprise ; Live show gratuit et en boucle « every day » depuis que la monarchie est revenue au pouvoir.
Elle se remémora le premier jour de sa « first date » où en roulant sur Sunset Boulevard, elle vit une voiture exploser. Les corps calcinés des victimes se courbaient encore à travers les flammes pour tenter de sortir des enfers.
Elle se remémora le jour où elle détruit une chambre d’hôtel et qu’elle commanda un « Royal Breakfast » après que le propriétaire se soit enfui comme un chien dans la nuit sans étoiles –
Non pas comme un chien !!! Elle les adore !!!
Elle se remémora le visage vert et violacé de grand-mère assassinée, embaumée dans les foulards Hermès, puis celui éclaté au sol de son héroïne déchue. Le bruit des flashs des touristes chinois volant la scène pathétique de l’atterrissage.
Elle se remémora cet ami qui lui dit un soir. « Mais toi t’es une caillera dans une peau de déesse ! »
Il avait sûrement raison. De toute façon elle n’avait pas vraiment eu le choix, non ?
En habit de lumière, Amazone des temps oubliés, elle en avait éventré plus d’un. Cela comblait le vide.
Elle se mit à chantonner « L’amour et la foudre sont flammes de l’ardente fureur des cieux, qui violentes à nos âmes, sont violettes à nos yeux »

Son téléphone vibra, elle lut le sms à haute voix en imitant la voix mielleuse de l’enfant gâté bourré aux antidépresseurs.
« Hi cupcake ! Do you want to come hang out with me at Château ? I can send you a limousine… »
Elle sourit. Elle regarda ses jolies dents dans le reflet de la lame du petit couteau qui fit luire sa prothèse en or au rayon de soleil soudain, et devenu si rare.
Elle pensa au mouvement rapide et professionnel qu’elle aura lorsque le petit couteau entrera à la vitesse de l’éclair dans le ventre gonflé au xanax, et qu’il coulera au fond de sa piscine comme un gros marshmallow sans faire glouglou.
SMILE YOU ARE ON CAMERA !
Elle eut un petit rire d’excitation et reposa ses lunettes façon Lolita sur le peu de nez qui lui restait.

Sur le parking, un homme aux cheveux gris et aux allures chevaleresques en costume trois pièces, culotte en dentelle dans pochette gauche, lui fit l’aumône.
Elle répondit à l’ange d’un signe de la main portée sur le cœur puis lui envoya la monnaie. Il lui fit le baisemain puis s’éclipsa.

Dans la société du paraître, il n’y a que les écorchés qui l’interpellent.

Elle fit vrombir le moteur et fila vers l’océan.
La vengeance est un plat qui se mange froid dit-on ? ca tombe bien elle adore les sushis 😉

Dolores, Sunset Boulevard from Dowtown to Malibu, 2028