PANGONLINE
19.03.20 – 15.05.20
Les Bains-Douches sont fermés en raison des mesures sanitaires liées au Covid 19
La relation et le travail avec les artistes ne s’arrêtent pas pour autant, c’est pourquoi nous avons décidé de solliciter des artistes dont nous avons diffusé des productions inédites sur la page d’accueil des Bains-Douches pendant toute la durée du confinement.
Avec Danny Oxenberg, Charles Pennequin, Laura Gozlan, François Curlet, Chloé Quenum, Etienne Ciquier, Jérôme Villedieu, Corentin Canesson, Mick Peter, Chloé Dugit-Gros, Cyprien Desrez, Arnaud Dezoteux, It’s Our Playground, Frédéric Desmots, Charlie Malgat, Marcel Devillers, Bertrand Dezoteux, Romuald Jandolo, Élie Godard
❤️
15 mai 2020
AMBIANCES PRIVÉES – version 3
It’s Our Playground
10 mai 2020
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LE BOUDIN ET LA POMME – Chapitre 2
Bertrand Dezoteux
8 mai 2020
COVID PAINTINGS
Corentin Canesson
6 mai 2020
BLENDER BENDER
Élie Godard
4 mai 2020
IN THE LAND
Romuald Jandolo
Dans la nuit, le jardin d’une maison est le théâtre d’une scène étrange: un personnage costumé déambule, passe et repasse, explore les lieux, joue. Malgré ce grand espace boisé, il semble tourner en rond. Un sentiment de solitude et d’assignation au lieu se dégage.
Sa “robe” et son capirote, sorte d’hybride entre le masque et le couvre-chef, provoquent la mémoire collective et un certain malaise. Des enfants quant à eux, peuvent y reconnaitre un magicien. Ce personnage hybride, évoluant comme un danseur et se confond avec le paysage, évoque la peur mais aussi le mystère et le burlesque. Il a un désir d’élévation que son costume seul ne semble pas lui apporter.
2 mai 2020
AMBIANCES PRIVÉES
It’s Our Playground
30 avril 2020
NO UNDERGROUND – STREETS OF MY MIND
Marcel Devillers
Un mec, marche dans la rue. Il porte un blouson en cuir noir, un t-shirt blanc et un jean. Il s’arrête. Retire ses mains de ses poches, lève le bras gauche et dessine un demi cercle avec son index, pointe l’extrémité droite de cette figure imaginaire, et brusquement, comme s’il tranchait l’air d’un coup de lame, accélère son mouvement et dirige son doigt vers le sol. Puis il lève son autre bras, le tend au dessus de sa tête, prolonge la verticale de son corps. Son coccyx, autour duquel se balance la diagonale des hanches, libère de violentes vagues d’énergie qui se répandent dans les muscles de ses fesses, dans sa colonne vertébrale, dans ses bras, dans ses jambes et jusqu’aux extrémités de ses doigts. Il inscrit dans l’espace les coordonnées d’un champ opératoire, puis, avec l’exactitude d’un robot manutentionnaire, il découpe la membrane hermétique, translucide et molle qui délimitait l’endroit de sa figuration. L’enveloppe s’écrase sur le trottoir splash ! Un réverbère, est le témoin électrique et silencieux, à travers lequel s’estiment les variations du sujet. La frondaison d’un arbre se balance, une feuille se détache des branches, sa surface palmée frotte l’atmosphère chaud de la ville, trouve dans l’épaisseur de l’air une résistance à sa chute.
L’enseigne lumineuse s’éteint. Le rideau métallique se déroule en crissant. Il pleut. Le trottoir est pavé de grandes dalles de granit – plaques grises et mouillées dont s’élève la verticale d’un corps, le dôme d’un parapluie. L’eau est emportée dans le caniveau, elle embarque avec elle, des ordures et les éclats bleus d’un gyrophare. Dans une flaque : l’obscurité, l’absence d’êtres vivants, le gris et le vert sont intensifiés.
29 avril 2020
UCCELLACCI E UCCELLINI
Chloé Dugit-Gros
27 avril 2020
LE BOUDIN ET LA POMME
Bertrand Dezoteux
26 avril 2020
MIAMMIAMGRAM
François Curlet
24 avril 2020
DUR À AVALER
Charlie Malgat
22 avril 2020
COVID PAINTINGS
Corentin Canesson
20 avril 2020
STAND-BY
Frédéric Desmots
18 avril 2020
AMBIANCES PRIVÉES
It’s Our Playground
16 avril 2020
LOCKDOWN SCREEN TIME DREAM
Mick Peter
14 avril 2020
Mr and Mrs PRESIDENT
Arnaud Dezoteux
13 avril 2020
VRÉ DE VRÉ
Cyprien Desrez
11 avril 2020
MIAMMIAMGRAM
François Curlet
10 avril 2020
TÉLÉTRAVAIL
Chloé Dugit-Gros
08 avril 2020
G MINOR
Laura Gozlan
06 avril 2020
COUCHROCK BLUES
Etienne Ciquier
05 avril 2020
COVID PAINTINGS
Corentin Canesson
02 avril 2020
MIAMMIAMGRAM
François Curlet
1er avril 2020
SPEECH
Chloé Quenum
30 mars 2020
LE BERGEOU
Jérôme Villedieu
Le bergeou mange des viandes légèrement avariées qui ne le rendent pas malades. Pourtant n’importe quel être tomberait. Il les cuit sur des cuiseurs recyclés allemands, qui ont déjà beaucoup fonctionné dans des ménages traditionnels.
Le bergeou écoute la musique des ruisseaux et s’en inspire pour bâtir sa route, décider son agenda. Il improvise des caps complexes, qui le rendent insaisissables.
L ‘essentiel de ses loisirs est constitué de tendres mélopées imageant les bois, de la pulpe des fruits, et de brutalités où il vient à expulser sa haine, son tourment, les tensions accumulées. Il sculpte des morceaux de bois, cogne sur des bouts de tôle. Car sous ses allures d’ours qui ne serait pas si méchant que ça c’est bien connu, c’est un grand haineux, un grand teigneux.
Il tire subsistance des quelques pitances concoctées dans le secret des montagnes, ces choses redescendues toutes les trois semaines à un marchand aux allures de fourbe, surfant sur les modes des bienfaiteurs de l’humanité, secret, de ces secrets à vendre aux gens de la ville.
Il récupère tout ce qui traîne, cartons d’emballage, plateaux de table en forme de roue bleue, portes de frigidaires. Car chaque hiver est à passer, pour le bergeou, au plus haut des montagnes et du risque, malgré toutes les propositions de retour qui lui ont été faîtes par les bonnes âmes de la vallée, des protestants.
Les bergeous n’ont pas de téléphone portable ni d’ordinateur.
Ce sont vraiment des êtres rares.
Ils continuent de vivre au sein des montagnes, se méfiant de tout ce qu’il y a de suspect : les touristes, les militants, les agriculteurs, les gens du village, les vendeurs. Ils ne parlent quasiment pas, quasiment à personne.
Dans la chaleur les bergeous s’affalent sur des sables chauds dont ils se recouvrent le corps, ils s’y enfouissent carrément s’il fait trop chaud, mais pour cela il faut bien qu’il fasse cinquante degrès. Ils mangent des biscuits à la châtaigne. Avec un ils tiennent un mois, suçant deux trois racines pour la soif.
Toutes les crispations
Tous les paquets de tabac
Les bêtises entendues à la radio Les journaux lus
Les humains rencontrés
Tous les monstres de son enfance n’ont pas réussi à l’immobiliser. Vive le bergeou.
Le bergeou est la preuve même de la filiation de l’homme et des bêtes. Il repart voûté dans la ruelle déjà obscure balayer un peu plus de soir, avec moult questions en tête: a-t-il encore le droit de vivre en cette époque, encore un peu de temps? Regarder l’éblouissante crinière de pluie par les carreaux et les poussières balayées, écouter le nerf d’une musique battre et tourner dans les chairs, saluer un nouvel automne ?
Pour l’amour le bergeou se sert d’animaux, d’expédients, d’un autre être humain parfois ému par ses allures de rustre, par ces odeurs d’un autre âge.
Mais cela n’est pas souvent.
Quelle est cette nouvelle beauté? Peut-être une des vacancières qui sont là l’été. La perfection sortie de nulle part, à sa connaissance, conjuguant la légèreté du pas grand-chose à la grâce des seigneuses, c’est une princesse qui est-ce, cette aisance avec laquelle elle l’a salué puis continué la discussion avec ses condisciples comme rompue aux arts de la diplomatie ; mais elle serait beaucoup plus que l’ambassadrice de la dynastie Ferrero Roche d’Or, rien de moins que l’impératrice de la beauté et du sex-appeal.
Il n’a pas du la voir plus d’une minute. De cette minute se déduirait tout, il dirait tout, chanterait tout: ses yeux, ses bas, sa jupe, sa légèreté, sa souplesse, le frôlement de ces tissus contre sa peau.
Que t’ont-ils fait ceux auxquels tu manques d’ôter la vie en les croisant dans ces mêmes ruelles? Est- ce parce que leurs mains n’ont aucune ride,que leur jeunesse est éprise d’amour et de la blondeur soyeuse des corps, oh la douceur des hanches traversées est un angle douloureux pour toi. Mais une clémence te rattrape des hauteurs, il y a un peu de bonté dans la larme qui te voit couler.
En marchant dans une ruelle du village il jette un coup d’oeil sur une fenêtre, des images de télévision s’y reflètent. C’est un feuilleton: dans la cité de Xyanax, de la Constellation du Chameau, la bête règne. Les héros cherchent à reprendre contrôle de la cité qu’elle gouverne. Tout le monde a son clone et les clones font la milice. Le pouvoir de la bestiole est partout, jusque bien sûr dans les consciences qui peuvent être contrôlées à distance grâce à de petits appareils telles des télécommandes de trains électriques. Elle contrôle la douleur et le plaisir, mais pas encore la poussée des êtres et des plantes. La terre en plus est complètement nuclée, de nombreuses créatures sont informes ou déformées. C’est affreux. Le bergeou repart triste.
Il accélère quand il passe devant l’Eglise. Les fidèles lui jettent des regards suspicieux.
Au bar de la Montagne le voici fasciné par une mouche, peut-être pour échapper à l’attente de quelqu’un qui boirait un pot avec lui, une mouche qui suit toutes les évolutions de la musique, exprimant l’ordre minéral de cette dernière, dansant en ligne dans la rectitude la musique, vivant à son rythme l’onde musicale. La mouche montre sur le fonds blanc du plafond le coupant de strictes trajectoires, dépassant des lignes et des angles par saccades, en de brusques accélérations, puis des lignes droites plus ou moins longues, en fonction des rythmes.
Le bergeou attrape un journal à la table du café et s’en repart le lire dans sa maisonnée, mais il ne comprend rien à tout cela, à tous ces signes sur la page. Alors il s’en sert pour allumer le feu ou bien envelopper des légumes, c’est la seule utilité qu’il trouve au journalisme.
Voici l’école du village. Il n’a fait qu’y passer il y a longtemps. Il fallait remplir des fiches. Il savait bien quel âge. Mais en quelle classe il était, que faisaient ses parents, qui étaient-ils, alors là: problème.
Y a-t-il autre-chose qu’amour, ce léger tressaillement, cette imperceptible émotion, cette réminiscence du visage, cet entêtement, l’allure de cette personne?
Alors le bergeou va devoir continuer avec ce sourire, celui-là même qu’il adresse au vendeur du magasin, alors qu’il s’en retourne dans ses montagnes.
Le bergeou ne sait pas montrer sa générosité. Un jour il a ramené à ses collègues de travail des pelures de kiwi et des raisins tirés de vieux pains aux raisins. Ceux-ci l’ont mal pris et il n’a plus jamais été embauché sur aucun chantier de la région.
Parfois dans sa solitude il mord dans un jouet en plastique rose, une sorte d’animal en caoutchouc rose. Si des gens le voyaient faire ça là-haut dans sa montagne, il risquerait d’être interné.
Vivre est une expérience de la faille, de la fissure, une impossible restauration, se dit le Bergeou devant les murs qui se lézardent et menacent de crouler. Vivre c’est remplir ces creux, sans fin, et espérer que cela ne s’effondre.
Je m’en vais creuser la douleur, se dit-il encore, de l’absence de toi, voir au fond de la caverne pourquoi je creuse des pierres, et quand mon coeur s’affolera pour toi je le poserai doucement dans un de ces doux nids pour qu’il repose, quand mon ventre te réclamera je mangerai autre-chose, quand les mots viendront appuyer la charge destinée à te ravir je les emploierai à une autre fin, je ne les laisserai pas se déployer, pas chanter, quand ton image s’infiltrera dans mes pensées je la rangerai parmi d’autres, je me dirais tiens quelle belle image pas plus, je retournerai ranger le bois.
27 mars 2020
COVID PAINTINGS
Corentin Canesson
25 mars 2020
ON EST DANS LA MERDE
Charles Pennequin
On est dans la merde. On est dans la merde et on fait dans son pot. On fait dans son pot et on attend de sortir. On a déjà sorti le pot. C’est déjà ça. Et ça ne sera pas la dernière. Et ce n’est pas la première non plus. Ça n’est pas la première fois qu’on est dans la merde et qu’on se sort du pot. Mais là le pot on va devoir se le sortir autrement. Pas au grand jour non. Car au grand jour on est dans la merde et pour se sortir le pot c’est plus la même musique. Ou c’est une chanson. C’est l’air de On est dans la merde et on voudrait le composer autrement. Comment faut-il composer autrement avec les autres. Déjà avec soi il paraît qu’il faut composer autrement à partir de maintenant. On attend qu’on nous le dise comment il est autrement composé pour nous sortir avec le pot. Car ce n’est pas le pot d’un autre à fortiori. A fortiori c’est le nôtre et on nous on a toujours affirmé qu’on n’avait pas de pot. On n’a jamais eu de pot c’est à fortiori ce qu’on a toujours dit. Et comment faire pour sortir sans son pot à partir d’aujourd’hui. Si on est dans la merde comme ils nous le disent. Et comment je ferai pour me sortir mieux la prochaine fois. C’est-à-dire avec un pot en bonne et due forme. Un pot valable. Un petit pot qui a sa petite histoire. Il paraît qu’on est dans la merde et qu’on ne fait pas d’histoire. On voudrait faire des histoires qu’on ne s’y prendrait pas mieux cependant. On est dans la merde et l’histoire se fait toute seule sans nous apparemment. Et sans notre pot. Alors on reste dedans. On reste dans notre histoire comme dans notre pot sans même savoir qu’il s’agit de nous. On n’a pas voulu faire d’histoire mais elle s’est entêtée à venir et nous on n’a pas résisté. On n’a pas résisté au fait d’être pleinement dedans. Dans son pot. C’est souvent arrivé dans l’histoire. L’histoire de pas pouvoir résister et donc de rester dans son pot. On est resté sourd comme lui. Comme deux larrons. On est resté comme une histoire qui a foirée mais cela s’entend. On pensera toujours ce qu’on veut. On pensera comme on veut en dehors de l’histoire qui fait de nous des larrons en foire. On est dans la merde. C’est ça la nouvelle histoire. On a foiré notre nouvelle histoire mais on se rattrapera bien en pensant à tout ce qui se trame dehors. Par la lucarne. On est dans la merde tout autant dehors mais ceci n’est plus notre histoire. C’est d’une autre histoire qu’il s’agit. Une histoire d’un autre calibre et qu’on a foiré tout autant. C’est une histoire foirée par tous. C’est tout un chacun qui a foiré son histoire de dehors et ça se retrouve chemin faisant. A moins que ça ne soit que des foiritudes internes qui se retrouvent par devers nous comme on dit. Ça se retrouve dehors mais ça n’était que foiritudes personnelles au fond. Au fond c’est des choses foirée en dedans par le tout un chacun de nous-mêmes en l’autre. C’est de toute façon toujours de l’autre en nous-mêmes que vient la foiritude du tout un chacun généralisée. C’est ça qui peut nous intriguer. Et c’est pour ça qu’on regarde au dehors. Par la lucarne. C’est un passage qui instruit. C’est bien humain. L’instruction. Ça nous perturbe de savoir où ils peuvent aller au diable. On ne prendrait peut-être pas le même chemin. On serait même disposé à en prendre bien d’autres. Déjà pour les faire bisquer. On prendrait une petite route pour les faire tous bisquer moi et mon pot. On ferait la sourde oreille à leurs indications. Ce ne sont pas des indications. C’est plutôt des consignes. Mais nous on fait la sourde oreille. Moi et mon pot. Mais quelque part c’est eux. C’est eux qui sont sourds et pas nous. Nous on entend ce qu’on veut. C’est déjà pas pareil. Ils voudraient qu’on soit tous à se ressembler. Et qu’on soit tous ébaudis pareil. Qu’on soit tous au même moment frappés de stupeur. Eberlués au point de bégayer. Au même moment et au même endroit. Voilà ce qu’on serait. Nous et notre pot. Ça serait le pot commun. Qu’on soit tous communément dans le même pot. Une histoire de pot qui nous rassemble. Que l’histoire du pot nous rassemble plus qu’elle nous ressemble. Que plus aucun de nos pots nous ressemble. Et qu’on se fasse la p’tite guéguerre. La p’tite guéguerre du pot pour s’y taire. Qu’on se terre tous dans le même pot et qu’on ne dise plus un mot.
23 mars 2020
MIAMMIAMGRAM
François Curlet
Macron XX
19 mars 2020
Nous publions aujourd’hui un texte de Danny Oxenberg, membre du groupe Supreme Dicks qui évoque sa collaboration avec Piero Heliczer lors d’un concert dans les 90’s. Ce texte a été écrit dans le cadre de l’exposition a scenario for a silent play de Sébastien Rémy.
(plus bas, texte en version française, traduction Marie Verry)
Reminiscences of a Journey to Piero Heliczer
I first met Piero when I was working at Anthology Film Archives. Although I had only fairly recently met Piero Heliczer at Anthology Film Archives, Jonas Mekas introduced us, we became fast friends, as of course I was very curious to hear all of Piero’s stories especially about Jack Smith, and Angus Maclise, and Tony Conrad, and the Velvet Underground. I was especially obsessed with Jack Smith at the time (probably still am, who isn’t?), as he had just recently passed away, and I had just recently written a song about him. So when Piero told me for example that Jack Smith one time got so mad at him, that he smashed his probably 18th century violin, I was very impressed. And maybe they had a bit of an on again off again relationship, I can’t remember, but to meet one of Jack Smith’s best friends and collaborators ( Piero was in Jack Smith’s seminal film “Flaming Creatures,” among other things) was revelatory to me. But really I didn’t know all that much about Piero Heliczer himself, as he was one of the more obscure, at least at this point to me, figures in what has been variously referred to as New American Cinema, Experimental films, underground films or the American Avant-Garde. And he shot his films (in the 1960s) on regular 8mm, and even at Anthology, they seemed hard to find. But in some ways that made him even more interesting to me.
In talking to Piero, I learned from him, that he had been a child star in Italy before his family had to flee the fascism that was taking place there, and that his ancestral roots were Hungarian. I also learned that he went to Harvard, and he wrote a lot of poetry, and was one of the poets of the beat generation. Before that, his family had moved to NY and he met Angus at Forest Hills High, and later they came up with the name for the Velvet Underground, which I suppose is possible considering Angus was the original drummer for them. Sure it came from a book by the same name but maybe Angus had the book or something like that. Apparently they also started their own press which published Gregory Corso poems among others, and they traveled around Europe together, before coming back to NY which was around the time that Piero started making 8mm films and became friends with Jack Smith among many others, and was in “Flaming Creatures”. Also Piero was a regular at the factory around this time, and shot a film for the Velvet Underground called “Venus in Furs,” that no one could find now (then), but that it had been chronicled by CBS news, or something like that. Also among Piero’s many talents he was musical as well, and I think played the violin or viola (which Jack Smith destroyed) and he also played classical acoustic guitar, which from what I remember he played for me one time, and I filed it in the back of my head, that if our band the Supreme Dicks, played a concert, Piero would be the perfect addition!
Well, it just so happened that a few months later I got a call from Richard and Sam from the Supreme Dicks, who were living in Northampton Massachusetts at that time, and that they wanted to do a Supreme Dicks concert to commemorate the 5 year anniversary of the space shuttle challenger crash and disaster. Well, I wasn’t really sure why they decided on this event to commemorate, but the Supreme Dicks would often do concerts around certain events. For example, a few years earlier, we did a concert commemorating the Harmonic Convergence, which was supposed to be the end of the world, at least according to the Mayan calendar, and maybe it was! And before that we did a “The only safe sex is no sex” concert, which our school gave us funding to do, because they thought we were going to be promoting safe sex, this was the time of Aids concern after all, and they thought we would be promoting condom use, but when we were only promoting celibacy, for some reason the school didn’t like that. Plus I think the school didn’t realize that the notorious Supreme Dicks would be promoting celibacy, as they had already banned the Supreme Dicks from ever playing on the campus after a tragic suicide by our sitar player Andy Hermann had taken place the year before on campus TV. So anyway, when Richard and Sam suggested this space shuttle challenger concert, I thought it would be fun, and of course I thought of the perfect addition to the concert, the mysterious underground beat poet and avant-garde filmmaker, and collaborator with the Velvet Underground (and classical guitar player to boot), Piero Heliczer!
The only problem was that the concert was going to be up in Massachusetts in the middle of winter, and at the time, Piero had fallen on hard times, and I later learned that he was dealing with his own mental illness on and off for most of his adult life, schizophrenia, which was very understandable considering all that he and his family had gone through. In fact in the Deluezian, R.D. Lang sort of way, it was probably more sane for him to be somewhat schizophrenic under the circumstances than not to be, if that makes any sense. So whatever the reason was, he was living in the West 4th street subway station. He was also at this time somewhat dependent on alcohol, which would further complicate matters. But when I told Piero about the concert, he was very excited to go and perform, in his old breeding grounds of Massachusetts, and not going was not even a question. The only question would be how to get him there.
Looking back on it, it’s kind of amazing to this day that we did make it up to Northampton, and play the concert! Since I lived in NYC and didn’t have a car, I guess I must have just arranged for Piero to meet me at Penn Station, so that we could take the Amtrak train to Springfield Massachusetts, where my good friend, and sometimes Supreme Dicks bass player (the only bass player ever in the Supreme Dicks, and this was probably okay because he didn’t really know how to play bass), Rich Lee would pick us up. Well, however it happened, Piero was there with me at Penn Station, and I bought us the two tickets to Springfield, and there we were, the afternoon before the show, traveling together on the Amtrak up to Massachusetts! And looking back on it again all I can say, is what others have said, which is that Piero was such a true poet and artist, not to mention free spirit, that he would let that lead him into whatever circumstances came his way, whether that be living in the positively west 4th street subway station, or going up into the woods of Massachusetts to play with the Supreme Dicks, in pursuit of his art of course.
So there we were, on the Amtrak traveling up to Western Mass, and I don’t really remember all that much of the trip up there, but when the train arrived in Springfield, and it was time to get off, I remember it was already dark out, and there was snow on the ground, and I had my Fender duo sonic electric guitar, and a bag for clothes, so there was stuff for me to carry, and I was a little worried about getting Piero off the train in time. He probably was sleeping for most of the trip, so i probably had to rouse him, and I do remember him following behind me and getting off the train, which was my main concern, and then it was very cold out, and I was carrying a lot of stuff, and from what I remember the train left us off right by the tracks, and we had to walk to the indoor part of the train station, where I was hoping Rich Lee would be there to meet us. So I remember trying to walk to the indoor part fairly quickly because of the cold and carrying all this stuff, and I just kind of assumed that Piero was following, but when I got inside and looked around, there was no Piero to be found! And at this point, there was no Rich Lee either. So I was kind of freaking out and went back outside and called for Piero but there was no sign of him in fact I didn’t even see him, and I was kind of worried that maybe he mistakenly got back on the train! So I went back in maybe to try to get some help, or to see if Rich Lee had arrived, but he hadn’t yet, and I was worried, but then miraculously Piero finally walked through the door, with snow on his back and a big smile on his face, and I remember there was this little girl with her mother, probably about three years old, who was looking curiously at Piero, and he got down on one knee, and opened his arms to her, and he had a huge grin on his face, and I swear she went running right to him, like in the movies, to hug him or whatever, and maybe they did hug for a minute, until her mother put an end to it, but I will never forget that ecstatic moment with Piero and the child. And then appeared Rich Lee, so everything was okay.
Well it turned out, Piero had just fallen in the snow after getting off the train, and he found it so comfortable, that he didn’t want to get up for a few minutes. But everything was okay now, and we were on our way to Northampton, to Sam and Tori and Barbaras house, which was right down the street from Rich Lee’s house, on Orchard Street.
When we got to Northampton, Piero immediately went into Tori’s bed, which I think was a little weird for her, being a 22 year old undergraduate. I don’t really remember all that much more about that night, we were probably planning out the concert, but the next day was a very eventful day. First me and Rich Lee shot a role of 16mm film with Piero on the streets of Northampton, which is probably significant for it being the last time he was caught on film, and I eventually used this footage for part two of the trilogy I made called “Death of the American Avant-Garde Pts 1-3”, part two being called “Chubrock; Mass for Piero Heliczer”, even though this trilogy was made a year before Piero’s untimely death. Later that afternoon there was a tea for the president and students of Smith College, which Richard Rushfield and Sam somehow got invited to (they did for a short while have a radio show on WOZQ, the Smith college radio station and most “progressive” music station in the pioneer “Happy” valley at that time), and they of course invited us including Piero! So we went up there and Piero was kind of in heaven to be surrounded by all of these Smith (a famous and very prestigious all girls college in Northampton) students, and I think he felt like he was back in his college days at Harvard. And things were going okay though i’m sure the Smith students were looking at Piero a little strangely and him at them, he was flirting as much as he could, and then the Smith president arrived, and as Richard Rushfield recalls, Piero yelled out “I OWN ALL THE PUSSY IN THE WORLD!” And of course at this point we were whisked out, with as Richard recalls Piero saying, “But wait, she promised me a blow job.” We didn’t really know who he meant, but we did know that Piero really didn’t want to leave.
And then finally later that night was the concert at Katinas in Hadley Massachusetts, with the Supreme Dicks, and The Caroline Know, and I believe Death Rhino, and of course with Piero Heliczer. And as we were doing a tribute show for the 5 year anniversary of the space shuttle challenger disaster, we wore some hats and outfits with metallic tape, I guess to look like space people, and I put the metallic tape also all over my guitar, which is on there, I suppose as a tribute, to this day (a picture of which is on our boxset). And we began the show with Richard and Sam playing “Space Oddity” on Kazoo’s. And I believe “5 Years” as the tribute to the people who had died in the crash. Then we went into a more traditional kind of noisy Supreme Dicks show, from what I remember, with two drummers, our usual drummer Mark Hanson, joined by Eric Gaffney playing some percussion at least. So it was kind of loud, and as we only had a classical acoustic guitar for Piero to play we were going to save him for the end, when he could play kind of solo where people could hear him. But as the night wore on, Piero kept going up to the bar, perhaps getting free drinks i’m not sure, and then at some point the bartender refused to serve him anymore, and that became a problem and I think maybe the police were called in, but luckily it was resolved when we told them that he in fact was performing tonight. Anyway, finally we were playing, we went on last as was kind of a Supreme Dicks tradition, to “clear the room” so to speak, but this time there was a big audience, who stayed, so we kept playing, and when it was finally time to bring on Piero, he was anxiously waiting behind us at this point with his acoustic guitar that we brought for him, the bar people said it was almost 1am, which was the law at that point in Massachusetts when bars had to close, and as we brought on Piero, they said we had to stop, and it was very disappointing but Piero after all this really only got to play a few notes. The story of his life I imagine he would think. But although Piero and we were very disappointed, it was still a great night and Piero was still having a great time. Though incredibly the most amazing part of the night, and dare I say the whole weekend, was yet to come, as after the show, me and Sam and Richard and Steve, went to Stop ‘N Shop with Piero and McKinnely.
McKinnely was also this incredible black poet and philosopher, and esoteric figure, who was around Piero’s age, and who some people would say looked like a black Sherlock Holmes, because he walked with a cane, wore a strange hat, and sometimes smoked a pipe. And he often played with and lived with some of the Supreme Dicks. He also had this incredible ability to “Speak in Tongues” and he kind of created a whole new language that he called “Hindu”. Now I know there is a language called Hindi, but this was entirely different. McKinnely was also known for saying he studied philosophy with Husserl, and used to play tennis with Cheryl Tiegs. We even recorded a song with McKinnely speaking in tongues, which became the first track of our album “Workingman’s Dick” (McKinnely’s Dream Pts 1-20)”. And we named our Boxset after his unpublished book of poetry called “Breathing and not Breathing”.
So anyway, it goes to reason (if you can use that word) that their meeting would be incredible, and it was, walking up and down the pedestrian aisles of Stop ‘n Shop at three in the morning, discussing poetry and philosophy and Cheryl Tiegs and sugar cubes in cornflakes with LSD, I think a whole other dimension opened to us that night, as Piero and McKinnely spoke like kindred spirits, meeting again after not seeing each other for so many years. They actually did think that they had met before in the village way back when, and seemed to know some of the same people, like Taj Mahal for example, But really it was like being in some long lost cosmic dimension, it tore a hole in the basic fabric of the Universe that night, which really made the lack of hearing Piero play guitar seem wholly insignificant.
After that when we finally got back to the “Mod” we were staying in that night, Piero kept talking about a guy he met named CHUBROCK, who came up to him and wanted us to play another show, maybe at UMASS, and he kept saying CHUBROCK was going to call us, and this was long before the famous raper of the same name, or was it??? But we never did hear from CHUBROCK, (though I did name the part of the film about Piero after that, as well as the Bruce Baillie film).
The next day, unfortunately, was a Sunday in Massachusetts which at that time at least, meant all the liquor stores were closed, which became a problem because Piero really was addicted to alcohol at this point. So we finally decided, later that afternoon, that we better get Piero back to NY, and like a true mensch, Rich Lee agreed to drive him back, with me in the passenger seat, Piero wasn’t doing so well and probably just slept in the back of the car. And when we got to NY we asked Piero where he would like to go, and he said the west 4th street subway station, so thats basically where we dropped him off, and my journey, at least this journey with Piero Heliczer came to an end, but I will never forget, (and now neither will you) those magical days when Piero came up to Western Massachusetts, to play with the Supreme Dicks!
Danny Oxenberg
Reminiscences of a Journey to Piero Heliczer (FR)
La première fois que j’ai rencontré Piero, c’était quand je travaillais à l’Anthology Film Archives. Et ayant rencontré depuis peu Piero Heliczer à l’Anthology Film Archives, Jonas Mekas nous a présentés, on est devenus bons amis, car évidemment j’étais très curieux d’entendre ce que Piero avait à raconter, surtout sur Jack Smith, sur Angus MacLise, sur Tony Conrad et sur le Velvet Underground. J’étais particulièrement obnubilé par Jack Smith à l’époque (et encore aujourd’hui j’imagine – qui ne l’est pas?), qui venait juste de mourir, et sur qui je venais d’écrire une chanson. Alors quand Piero m’a raconté, par exemple, qu’un jour Jack Smith était tellement furax contre lui qu’il lui a explosé son violon qui devait dater du XVIIIe siècle, j’étais scié. Ils avaient dû avoir une relation avec des hauts et des bas, je ne me souviens plus trop, mais de rencontrer un des meilleurs amis et collaborateurs de Jack Smith (Piero était dans son célèbre film Flaming Creatures, entre autres choses), ça a été une révélation pour moi. Mais ceci dit, je ne connaissais pas très bien Piero Heliczer lui-même, qui était l’un des personnages les plus obscurs, pour moi en tout cas à l’époque, de ce qu’on a pu appeler cinéma expérimental, films underground, avant-garde américaine ou encore New American Cinema. Il tournait ses films (c’était dans les années 1960) en 8 mm, et ça avait l’air d’être difficile de les voir, même à l’Anthology. Mais d’une certaine manière ça n’a fait qu’attiser davantage ma curiosité à son égard.
En parlant avec Piero, j’ai appris qu’il avait été enfant star en Italie avant que sa famille n’aie à fuir le régime fasciste qui était en place, et qu’il avait des origines hongroises. J’ai aussi appris qu’il était allé à Harvard, et qu’il écrivait beaucoup de poésie, et qu’il était l’un des poètes de la beat generation. Qu’avant cela, sa famille était venue vivre à New York et qu’il avait rencontré Angus au lycée Forest Hills High, et que plus tard ils avaient trouvé le nom du Velvet Underground, ce qui est bien possible car Angus était leur premier batteur. Le nom venait bien sûr d’un livre qui portait ce titre, mais c’est Angus qui devait avoir ce livre chez lui, ou quelque chose comme ça. Visiblement ils avaient aussi fondé leur propre maison d’édition qui publiait des poèmes de Gregory Corso, entre autres, et ils avaient voyagé dans toute l’Europe ensemble, avant de rentrer à New York à peu près à l’époque où Piero commençait à faire ses films en 8 mm, est devenu ami avec Jack Smith et tous les autres, et a joué dans Flaming Creatures. Piero était aussi un habitué de la Factory à l’époque, et a tourné un film – un film qui était devenu introuvable mais qui avait été chroniqué par CBS News si je me souviens bien – pour le Velvet Underground intitulé « Venus in Furs ». Piero avait plusieurs cordes à son arc, il était aussi musicien, je crois qu’il jouait du violon ou de l’alto (celui que Jack Smith avait détruit) et aussi de la guitare classique, il m’en a d’ailleurs joué une fois, et j’avais gardé ça dans un coin de ma tête : Piero serait le guest rêvé pour un concert de notre groupe, les Supreme Dicks !
Et voilà que quelques mois plus tard, je reçois un appel de Richard et Sam des Supreme Dicks (ils habitaient à Northampton dans le Massachussetts à l’époque) qui me disent qu’il veulent faire un concert des Supreme Dicks pour commémorer les cinq ans de l’accident de la navette spatiale Challenger. Je n’ai jamais trop compris pourquoi ils voulaient commémorer ça, mais avec les Supreme Dicks on faisait souvent des concerts pour des événements particuliers. Par exemple, quelques années plus tôt, on avait fait un concert pour la Convergence Harmonique, qui célébrait la fin du monde prévue par le calendrier Maya, la vraie fin du monde, peut-être ! Et encore avant, on avait fait un concert intitulé « the only safe sex is no sex », on avait eu un financement de notre école pour ça, ils pensaient qu’on allait faire l’apologie du « safe sex », il faut dire que c’était l’époque où le SIDA était dans tous les esprits, et ils pensaient qu’on ferait l’apologie des préservatifs, mais quand ils ont vu qu’on faisait seulement l’apologie de l’abstinence et du célibat, je ne sais pas pourquoi, ça ne leur a pas plu. Et puis je pense qu’ils ne s’imaginaient pas qu’on ferait l’apologie de l’abstinence, nous, les tristement célèbre Supreme Dicks, qui avions déjà été interdits de concerts sur le campus après le suicide tragique, en direct sur la chaîne TV du campus, de notre joueur de sitar Andy Hermann, l’année précédente. Et donc quand Richard et Sam ont proposé ce concert pour la navette Challenger, je me suis dit que ce serait marrant, et bien entendu, j’ai repensé au guest parfait pour ce concert, le mystérieux poète beat underground, cinéaste d’avant-garde, collaborateur du Velvet Underground (et accessoirement guitariste classique), j’ai nommé Piero Heliczer !
Le seul problème, c’est que le concert devait avoir lieu dans le Massachussetts, en plein hiver, et à l’époque les temps étaient durs pour Piero, d’ailleurs j’ai appris par la suite qu’il avait des phases difficiles dues à une maladie mentale avec laquelle il a lutté pendant une bonne partie de sa vie, la schizophrénie, ce qui n’était pas étonnant vu tout ce qu’ils avaient traversé, lui et sa famille. En fait, si on le prend à la R.D. Laing ou à la Deleuze, on peut se dire que vu les circonstances, c’était peut-être plus sain pour lui d’être schizophrène ou quelque chose comme ça que de ne pas l’être, d’une certaine manière. En tout cas, il se trouve qu’il vivait dans la station de métro de la 4e rue Ouest. A l’époque il était aussi assez dépendant à l’alcool, ce qui n’arrangeait pas les choses. Mais quand je lui ai parlé du concert, il était tellement excité à l’idée de venir jouer dans ce bon vieux Massachussetts qui l’avait vu parfaire son éducation, qu’il n’était même pas question de ne pas le faire. La seule question, c’était comment l’y amener.
Quand j’y repense, c’est assez incroyable qu’on ait pu arriver jusqu’à Northampton et faire le concert ! Vu que j’habitais à New York et que je n’avais pas de voiture, je crois que j’ai dû faire en sorte que Piero me rejoigne à la gare Penn Station pour prendre un Amtrak jusqu’à Springfield, Massachussetts, où j’avais un très bon ami, bassiste occasionnel des Supreme Dicks (le seul bassiste que nous ayons jamais eu, et c’est sans doute parce qu’il ne savait pas vraiment jouer de la basse qu’on l’a pris), Rich Lee, qui devait nous récupérer là. En tout cas, d’une manière ou d’une autre, je me retrouve avec Piero à Penn Station, je prends deux billets pour Springfield, et nous voilà, la veille du concert, à faire le voyage ensemble en Amtrack, direction le Massachussetts ! Et vraiment, quand j’y repense, je me dis, mais je ne suis pas le premier à le dire, que Piero était un véritable poète, un véritable artiste, un véritable esprit libre, de ceux qui ne peuvent que suivre le courant là où il les mène, que ce soit pour se retrouver à vivre dans la station de métro de la 4e rue Ouest ou à traverser les forêts du Massachussetts pour jouer avec les Supreme Dicks, tout cela pour l’amour de l’art, évidemment.
Nous voilà donc dans l’Amtrak à rouler vers l’ouest du Massachussetts, et je ne me souviens pas tellement du voyage, mais une fois arrivés à Springfield, au moment de descendre du train, il fait déjà noir, le sol est enneigé, je suis bien chargé avec ma Fender Duo Sonic et mon sac de fringues et il faut surtout que je m’assure que Piero descende du train à temps. Il avait dû dormir pendant tout le trajet, je pense qu’il a fallu que je le mette debout, en tout cas je le revois me suivre et descendre du train avec moi, me voilà rassuré, et là, il fait super froid dehors, j’ai tout mon bazar à trimballer, on se retrouve sur les rails à devoir marcher jusqu’au bâtiment de la gare, où Rich Lee est censé nous attendre. Je me mets donc à marcher assez vite pour me mettre à l’abri, vu le froid et tout mon barda à porter, en partant du principe que Piero me suit toujours, mais une fois à l’intérieur, je me retourne, et là, plus de Piero ! Et pas de Rich Lee non plus… Donc je flippe un peu, je ressors, j’appelle Piero, qui ne donne aucun signe de vie, je commence à me dire que si ça se trouve il est remonté dans le train… Donc je rentre dans la gare, pour essayer de chercher de l’aide, ou pour voir si Rich Lee est arrivé, mais il n’est toujours pas là, je commence à m’inquiéter, et puis tout d’un coup, comme par miracle, Piero entre dans la gare, avec un grand sourire et le dos plein de neige, et je me souviens d’une petite fille qui est là avec sa mère, une petite fille de trois ans à peu près, qui regarde Piero d’un air intrigué, et lui, il pose un genou à terre, ouvre grand ses bras, avec un immense sourire qui lui illumine le visage, et je vous jure que la petite lui a couru dans les bras, comme dans un film, comme pour aller lui faire un câlin, et ils se sont serrés dans les bras pendant au moins une minute, jusqu’à ce que la mère vienne la rechercher, mais je n’oublierai jamais ce moment de grâce avec Piero et la gamine. Et là, Rich Lee est apparu, et tout était rentré dans l’ordre.
Ce qui s’était passé, en fait, c’est que Piero, en sortant du train, était tombé dans la neige, et il avait trouvé ça tellement agréable qu’il était resté couché comme ça pendant plusieurs minutes. Mais finalement, tout allait bien, on se dirigeait vers Northampton, chez Sam et Tori et Barbara, sur Orchard Street, juste à côté de chez Rich Lee.
Quand on est arrivés à Norhtampton, Piero s’est tout de suite retrouvé dans le lit de Tori, ce qui m’a paru un peu bizarre de sa part, elle qui était étudiante et n’avait que 22 ans. Je ne me souviens pas de grand-chose de plus de ce soir-là, on a dû se caler pour le concert, mais le lendemain fut une sacrée journée. Tout d’abord, avec Rich Lee, on a tourné une bobine de 16 mm ave Piero dans les rues de Northampton, qui a cela de particulier que c’est sa dernière apparition filmée, et j’ai d’ailleurs utilisé ces images pour la deuxième partie de ma trilogie intitulée « Death of the American Avant-Garde Pts 1-3 », la deuxième partie ayant pour sous-titre « Chubrock : Mass for Piero Heliczer », même si cette trilogie précède d’un an la mort prématurée de Piero. Plus tard dans l’après-midi, il y avait une rencontre avec la présidente et les étudiantes du Smith College, et Richard Rushfield et Sam étaient invités à prendre le thé là-bas (ils avaient pendant quelque temps une émission radio sur WOZQ, la radio du Smith College, la station radio la plus « progressiste » musicalement parlant de toute la « Pionner Valley », ou « Happy Valley » comme l’appelaient les habitants.) Et bien entendu, ils nous avaient proposés d’y aller avec eux, Piero y compris ! Donc on s’est retrouvés là-bas et Piero était au septième ciel entouré de toutes ces étudiantes du Smith College (une célèbre université pour filles de Northampton, très prestigieuse), je crois que pour lui c’était comme de revivre ses années universitaires à Harvard. Tout allait bien, même si les étudiantes devaient sans doute regarder Piero un peu bizarrement et lui de même ; il flirtait autant qu’il pouvait ; puis la présidente de l’université est arrivée, et Richard Rushfield raconte que là, Piero a hurlé : « Toutes les chattes du monde sont à moi ! » Alors là, évidemment, on s’est fait dégager, avec Piero qui continue : « mais attends, elle m’a promis de me tailler une pipe… » On ne savait pas trop bien de qui il parlait, mais en tout cas, il n’avait pas envie de partir.
Et finalement, plus tard ce soir-là, il y a eu le concert au Katina’s, à Hadley, Massachussetts, avec les Supreme Dicks, et The Caroline Know, et Death Rhino je crois bien, et Piero Heliczer, bien sûr. Et vu qu’on faisait ce concert pour commémorer l’accident de la navette Challenger, on portait des costumes et des chapeaux en scotch métallisé, pour ressembler à des créatures de l’espace sans doute, et j’avais mis du scotch aussi sur ma guitare, qui est resté dessus jusqu’à maintenant, en souvenir de ce jour (il y a une photo dans notre coffret CD). On a commencé le concert avec Richard et Sam qui jouaient Space Oddity au kazoo. Et 5 Years, je crois, en hommage aux gens qui étaient morts dans la catastrophe. Ensuite, on est passés au set bruitiste plus habituel des Supreme Dicks, avec deux batteurs si je me souviens bien, il y avait notre batteur, Mark Hanson, et Eric Gaffney qui devait aussi jouer des percussions. Ça jouait donc assez fort, et comme on n’avait qu’une guitare acoustique pour Piero, on avait gardé sa participation pour la fin, pour qu’il puisse jouer un peu tout seul et que le public l’entende bien. Mais à mesure que l’heure avançait, Piero faisait des aller-retours vers le bar, il devait se faire offrir des verres, jusqu’à ce que le barman finisse par refuser de le servir, et il y a eu un peu de grabuge et je crois qu’ils ont appelé la police, mais heureusement ils ont lâché l’affaire quand on leur a dit qu’il faisait partie des musiciens. En tout cas, on était enfin en train de jouer, on était les derniers à jouer comme le voulait la coutume, pour « vider la salle » si on veut, mais cette-fois là il y avait beaucoup de monde, et les gens restaient, alors on continuait à jouer, et quand il a été temps de faire venir Piero, il était derrière nous avec la guitare acoustique qu’on lui avait amenée, il avait le trac, et là les gens du bar ont dit qu’il était presque une heure du matin, l’heure légale de fermeture des bars dans le Massachussetts à l’époque, et au moment où on a appelé Piero, ils nous ont dit qu’on devait arrêter le concert, et ce fut la grosse déception : après tout ça, Piero n’a pu jouer guère plus que quelques notes. L’histoire de toute sa vie, qu’il a du penser. Mais même si Piero et nous étions franchement déçus, ça a quand même été une nuit incroyable, et Piero continuait à bien s’amuser. Mais bizarrement, le moment le plus exceptionnel de la soirée (et même de tout le week-end je pense) était encore à venir, car après le concert, Sam, Richard, Steve et moi, on s’est arrêtés au Stop’n’Shop avec Piero et McKinnely.
MacKinnely, c’était ce poète et philosophe noir, un personnage incroyable et improbable, qui avait à peu près le même âge que Piero, et qui, selon certains, ressemblait à un Sherlock Holmes noir, car il marchait avec une canne, il portait un drôle de chapeau, et il fumait parfois la pipe. Et ça lui arrivait souvent de jouer et d’habiter avec certains des membres des Supreme Dicks. Il avait aussi ce don incroyable de « parler en langues » et il avait créé sa propre langue qu’il avait appelée « hindu ». Je sais bien qu’il y a une langue qui s’appelle le « hindi », mais ça n’avait rien à voir avec ça. McKinnely disait aussi avoir étudié la philosophie avec Husserl et joué au tennis avec Cheryl Tiegs. On avait même enregistré une chanson avec McKinnely qui parlait en langues, Renada’s Demon, qui est devenue le premier morceau de notre album Workingman’s Dick (McKinnely’s Dream Pts 1-20). Le nom de notre coffret CD Breathing And Not Breathing vient aussi de son recueil de poésie, un livre qu’il n’a jamais publié.
On pouvait donc raisonnablement (si ce mot est vraiment adapté à la situation) se dire que leur rencontre serait incroyable, et ce fut le cas, on s’est retrouvés à errer dans les galeries du Stop’n’Shop à trois heures du matin, à parler de poésie et de philosophie, et de Cheryl Tiegs, et de sucres de LSD dans les corn-flakes, c’est une autre dimension qui s’est ouverte à nous cette nuit-là, Piero et McKinnely parlaient ensemble comme deux âmes sœurs qui se seraient retrouvées après des années de séparation. En fait, ils pensaient s’être déjà rencontrés longtemps auparavant, ils connaissaient des gens en commun, Taj Mahal par exemple, enfin en tout cas c’était comme de redécouvrir une dimension cosmique disparue, une ouverture s’était déchirée dans le tissu normal de l’Univers cette nuit-là, et finalement, le fait de ne pas avoir pu entendre Piero jouer de la guitare n’avait plus aucune importance.
Après ça, on a fini par rentrer à l’appart où on était hébergés, Piero n’arrêtait pas de parler d’un type qu’il avait rencontré et qui s’appelait CHUBROCK, qui était venu le voir pour nous proposer de faire un autre concert, peut-être à l’Université du Massachussetts, et il n’arrêtait pas de dire que CHUBROCK allait nous appeler, mais c’était bien avant que n’apparaisse le rappeur du même nom, enfin il me semble ??? Mais en tout cas on n’a jamais entendu parler de lui (mais pour le titre de la séquence de mon film sur Piero, je me suis inspiré de ce nom, et aussi d’un film de Bruce Baillie).
Le lendemain, malheureusement, c’était dimanche, et dans le Massachussetts, en tout cas à l’époque, ça voulait dire que tous les magasins qui vendaient de l’alcool étaient fermés, ce qui était problématique car Piero était vraiment très alcoolique à ce moment-là. On a donc décidé, plus tard dans l’après-midi, qu’il valait mieux le ramener à New York, et Rich Lee, bonne poire, a accepté de le ramener en voiture, avec moi sur le siège passager, et Piero, qui n’était pas en forme, qui devait dormir à l’arrière. Une fois arrivés à New York, on a demandé à Piero où est-ce qu’il fallait le déposer, et il a répondu à la station de métro de la 4e rue Ouest, alors c’est là qu’on l’a laissé, et mon voyage, en tout cas ce voyage avec Piero Heliczer est arrivé à sa fin, mais je n’oublierai jamais (et vous non plus, maintenant) ces quelques jours enchantés où Piero est venu dans le Massachussetts jouer avec les Supreme Dicks !
Danny Oxenberg